The Oppenheimer Alternative – Robert J. Sawyer

oppenheimer

Pour fêter le passage à l’an 75 P.A. (post atomum), Robert J. Sawyer nous a livré le 2 juin dernier un récit des origines. Pour cela, il est retourné quelques années avant l’an 1, avant le 16 juillet 1945 – selon l’ancien calendrier – qui marqua le jour où les forces armées américaines effectuèrent le premier test d’une bombe à fission au plutonium à Alamogordo au Nouveau-Mexique, faisant ainsi entrer l’humanité dans l’Ère Atomique. C’est en 9 A.A. (1936 A.D.)  qu’il a choisi de débuter sa chronique des événements. Pourquoi cette année plutôt qu’une autre ? C’est cette année-là que J. Robert Oppenheimer, alors professeur de physique à l’Université de Berkeley, rencontra Jean Tatlock qui deviendra… ou pas.

Avec The Oppenheimer Alternative, Robert J. Sawyer propose une histoire alternative tant ancrée dans la nôtre qu’on ne saurait longtemps dire si vraiment divergence il y a. L’ouvrage s’ouvre sur un dramatis personae de 63 noms de personnalités historiques qui participèrent toutes, à des degrés divers, aux événements réels et passés sur lesquels Sawyer construit son roman. Celui-ci est avant tout le récit de la vie de J. Robert Oppenheimer. Si son nom est surtout connu des étudiants physiciens pour l’approximation dite de Born-Oppenheimer qui est la première étape de la résolution de l’équation de Schrödinger, Oppenheimer est principalement connu du grand public pour sa participation, en tant que directeur du laboratoire de Los Alamos, au projet Manhattan qui dota l’Amérique de la bombe atomique. Et c’est bien cette contribution-là qui se trouve au cœur de The Oppenheimer Alternative.

Le roman est brillamment construit dans l’équilibre qu’il propose aux lecteurs. Le premier tiers est le récit biographique, fidèle et très documenté, de la vie de J. Robert Oppenheimer telle qu’on la connait. C’est le récit de la course à l’armement après qu’Albert Einstein, pressé par Eugene Wigner et Leó Szilárd, ait écrit une lettre au président Franklin Roosevelt pour affirmer la possibilité de construire une bombe utilisant la fission des atomes afin de défaire l’Allemagne Nazie. C’est le récit du projet Manhattan sous la direction du major-général Leslie Richard Groves. C’est le récit de l’activité scientifique dans le secret du camp confiné de Los Alamos, où l’on croise Hans Bethe, Enrico Fermi, Richard Feynman, Leó Szilárd, Edward Teller… jusqu’aux explosions d’Hiroshima et Nagasaki au Japon, des mois après la capitulation de l’ennemi européen.

« Humanity would still be in superposition, possibly alive, possibly dead »

Là, au début du second tiers, l’histoire diverge. Les travaux effectués notamment par Hans Bethe et Edward Teller au laboratoire de Los Alamos conduisent à une observation (dont je ne dirai rien) qui établit avec certitude que le très redouté conflit nucléaire avec le bloc communiste n’est pas le plus grand danger qui pèse sur l’avenir de l’humanité. Dans le roman The Calculating Stars, Mary Robinette Kowal imaginait que le 3 mars 1952 à 9h53 du matin une météorite frappait les Etats-Unis, lançant un programme d’exploration spatiale pour permettre à l’humanité, un jour, éventuellement, de quitter la Terre. Si ce n’est pas une météorite qu’invoque Robert J. Sawyer, l’idée est la même et cette observation va lancer, après-guerre, un nouvel effort scientifique mobilisant les meilleurs cerveaux de l’Occident. Sawyer prend d’ailleurs soin de glisser un clin d’œil à Mary Robinette Kowal dans son récit, à ce moment-là. La deuxième partie du roman se déroule ainsi à l’Institute for Advanced Study de Princeton, où se trouve le grand Albert Einstein. A nouveau autour d’Oppenheimer se retrouveront des physiciens de renom : Richard Feynman, Kurt Gödel, John Von Neumann, Isidor Isaac Rabi, ou Dyson Freeman. On croisera aussi Werner von Braun. Divergence des faits, mais là encore la réalité historique imprègne le récit, jusqu’à l’infâmie du maccarthysme et la révocation de l’habilitation qui permettait à Oppenheimer un accès aux secrets entourant la recherche nucléaire américaine à la suite d’une parodie de procès dans lequel Lewis Strauss et Edward Teller jouèrent un rôle crucial.

« You want my considered opinion?” She waited until all eyes were on her then said, “We’re pretty much fucked.”

La troisième partie du roman, plus courte, n’en est pas moins extraordinaire. Ayant patiemment bâti, sur les fondations de l’Histoire, personnages et faits scientifiques, Robert J. Sawyer lâche la bride à son imagination et inscrit pleinement son roman dans la science-fiction, jusqu’à un final de toute beauté. Je n’en dis pas plus.

The Oppenheimer Alternative est un roman savant, qui s’équilibre astucieusement entre récit historique (avec une bibliographie conséquente en fin d’ouvrage), histoire alternative et science-fiction à tendance hard-SF sans les lourdeurs que peuvent parfois avoir les romans de ce dernier sous-genre (les lecteurs possédant quelques connaissances en physique y dénicheront avec plaisir de nombreux easter-eggs) ; Robert J. Sawyer a le talent et l’écriture pour que le récit reste toujours fluide malgré sa densité. Et c’est un roman intelligent. Sawyer y glisse avec le recul nécessaire des réflexions sur l’histoire, le rôle politique de la science, les mensonges du complexe politico-militaro-industriel devenus Histoire enseignée. C’est aussi un roman qui rend hommage à l’histoire de la science-fiction. C’est un excellent roman, original jusque dans son dénouement.


D’autres avis : Apophis, Gromovar, Blog à part,


Titre : The Oppenheimer alternative
Auteur : Robert J. Sawyer
Langue : anglais
Publication : 2 juin 2020 chez CAEZIK SF & Fantasy
Nombre de pages : 374
Format : papier et ebook


6 réflexions sur “The Oppenheimer Alternative – Robert J. Sawyer

  1. (merci pour le lien)

    Eh bien pour l’instant, nous sommes tous d’accord, c’est une claque 😉 Espérons qu’un éditeur est sur le coup afin d’en proposer une VF !

    Personnellement, j’ai prolongé l’expérience en regardant les deux saisons de la non moins excellente série Manhattan. Oppie y apparaît peu dans la première saison, déjà plus dans la seconde, mais l’acteur qui l’incarne a un jeu assez saisissant et toutes ses apparitions sont marquantes. La série se finit abruptement, elle est assez romancée (la plupart des personnages sont inventés, même si fortement inspirés de leurs contreparties réelles : Winter est Neddermeyer, par exemple), mais n’en reste pas moins intéressante. Je conseille 😉

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