The Will to Battle (La Volonté de se battre) – Ada Palmer

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Alors qu’est sortie le 28 mai dernier Sept Redditions, la traduction du second tome du cycle Terra Ignota d’Ada Palmer chez Le Bélial’, il est temps pour moi de vous parler de ce qui vous attend pour la suite, à savoir dans le troisième tome The Will To Battle. Celui-ci sortira en France en 2021, sous le titre La Volonté de se battre.

Dans cette chronique, je ne donne que les grandes lignes de l’histoire du début du cycle, mais ne fait aucune révélation qui pourrait gâcher votre lecture. Vous pouvez donc continuer à lire en toute tranquillité, sans peur aucune de vous voir spoiler l’affaire, quand bien même vous n’avez pas lu une seule ligne de Terra Ignota.

Dans les deux premiers tomes de son cycle, Trop semblable à l’éclair et Sept redditions, Ada Palmer imagine la société humaine au vingt-cinquième siècle, une société d’abondance dans laquelle le lieu de naissance ne détermine plus la citoyenneté mais où chacun choisit son appartenance à une nation politique, une Ruche, au-delà des considérations géographiques, reléguant la notion de frontière à l’histoire. Cette nouvelle organisation est rendue possible par un système de transport global par des voitures volantes qui permettent de se rendre à n’importe quel endroit de la planète en moins de deux heures. La famille nucléaire n’existe plus et est remplacée par des bash qui réunissent adultes et enfants sous un même toit. La pratique religieuse collective et le prosélytisme sont interdits, mais pas la croyance individuelle. Les prêtres sont remplacés par des guides spirituels personnels. Mais une fois cet univers mis en place, Ada Palmer en montre les failles et s’applique à le détruire. Les deux premiers tomes racontent ainsi la chute de ce monde en sept jours. Le vol en apparence anodin de la liste des personnalités politiques les plus influentes déclenche une enquête de grande ampleur qui révèle la corruption généralisée du monde politique, la férocité de la compétition économique et politique entre Ruches et le mensonge sur lequel repose la paix qui dure depuis plus de trois cent ans : les assassinats politiques ciblés qui ont pour but d’éliminer toute tension dans la société. Ultime hypocrisie, ce récit nous est fait par l’un des plus odieux criminels de l’histoire, Mycroft Canner, qui aurait dû être condamné à mort il y a treize ans mais aujourd’hui sert et conseille les grands de ce monde. Plus encore, voilà que le divin (tout le monde n’approuve pas cette interprétation) s’en mêle ! Aucune utopie ne résistant à l’exposition de ses contradictions, le monde s’écroule.

« My great merit as an historian is that I am known to be insane ».

Nous en sommes là lorsque débute, quatre mois plus tard, le récit de The Will to Battle qui raconte ce qui se déroule d’avril à septembre 2454. La crise a mené le système des Ruches à la rupture, les antagonismes sont profonds et la guerre semble désormais inévitable dans cette société qui n’en a pas connu depuis plusieurs siècles et ignore tout de ses mécanismes. Et comment fait-on la guerre quand il n’existe plus de nations géographiques, plus de frontières, plus de territoires ? La société sait qu’elle doit se réformer pour apaiser les tensions et renier les erreurs passées. Les tentatives pour préserver la paix seront donc dans un premier temps politiques. Dans Trop semblable à l’éclair et Sept redditions, Ada Palmer invoquait les philosophes des lumières : Adam Smith, Thomas Paine, Voltaire, Diderot, Rousseau, et le Marquis de Sade. Tout ceci s’est évanoui et c’est désormais l’ombre de Thomas Hobbes qui plane sur The Will to Battle. La première partie du livre est un long examen philosophique de la constitution politique de l’assemblée des Ruches et du droit, éléments qui manquaient dans les deux premiers tomes pour une description complète du monde. J’avoue que ce démarrage est lent et montre des longueurs. Ainsi, dans un long passage narrant les discussions au sénat, l’un des dirigeants de Ruche encore en place se lance dans une tentative d’obstruction parlementaire en faisant un filibuster, technique consistant à monopoliser la parole pendant des heures afin d’empêcher le vote de nouvelles lois. Ada Palmer n’écrivant pas au mot près, et étant dotée d’un sens de l’humour très anglosaxon, nous livre donc des pages et des pages de jargon légal. Le lecteur craque, les sénateurs aussi.

Heureusement pour nous, la politique va être interrompue par les événements. Car si les envolées sénatoriales amplifient les divisions, dehors la situation explose et les émeutes entrainent la rue dans la violence meurtrière. Ce n’est pas encore la guerre, mais tous s’y préparent. On crée des centres d’entrainement, on construit des hôpitaux, on fait des réserves de nourriture, et chacun commence à choisir son camp. D’un côté ceux qui défendent le système des Ruches, de l’autre la tentation d’en finir et d’accepter un despotisme global pour peu qu’il soit éclairé.

« I am Achilles. I don’t win the war, I die in it. »

La deuxième partie du livre s’emballe et se tourne vers l’action. L’émergence de la violence met régulièrement un terme à toute tentative de discussion. Enfin la guerre est là, et elle démarre de manière inattendue, par ceux dont on pensait que… Les cinquante dernières pages du livre sont exceptionnelles et plongent le lecteur au cœur d’une tempête, dont on sent qu’elle n’est qu’un début. Les portes du temple de Janus sont ouvertes.

Au milieu de tout ceci, Mycroft Canner, qui est toujours le narrateur de l’histoire, devient de plus en plus instable psychologiquement. Certains chapitres prennent la forme de visions hallucinatoires. L’adresse au lecteur (qui avait gêné certains lecteurs dans les deux premiers tomes) prend ici un sens très différent. Mycroft est habité. Ce lecteur imaginaire se fait interventionniste et nous sert de guide pour remettre les choses en place. Il n’est plus seul, et Mycroft confère régulièrement avec le fantôme de Thomas Hobbes ou celui d’Apollo Mojave (l’une de ses victimes). Mycroft alterne entre des moments de folie pure et des moments de conscience froide qu’on ne lui connaissait même pas jusqu’alors. Il n’est pas le seul. Dieu (tout le monde n’approuve pas cette interprétation) lui-même perd les pédales. Avant la fin de ce volume, certains lieux que vous connaissez ne seront plus. Certaines personnes non plus.

Troisième tome au démarrage certes lent, The Will to Battle s’installe dans un rythme plus soutenu dans sa deuxième partie et tient les promesses de son titre. Entre long commentaire philosophique et explosion destructive finale, c’est un tome qui m’a laissé à bout de souffle. Les lecteurs n’ayant pas goûté les deux premiers tomes ne changeront pas d’avis avec celui-ci, mais sont-ils encore là ? Pour les autres, The Will to Battle est un troisième coup de maître d’Ada Palmer. Il ne reste plus qu’à attendre la sortie du quatrième et dernier volume en 2021 pour la VO, et en 2022 pour sa traduction de Michelle Charrier en français sous le titre Peut-être les étoiles.

En français aux éditions Le Bélial’ :

Trop semblable à l’éclair (24 octobre 2019)
Sept redditions (28 mai 2020)
La Volonté de se battre (2021)
Peut-être les étoiles (2022)


D’autres avis : Gromovar, Ombrebones, Le Chroniqueur, Le Dragon galactique,


Titre : The Will to Battle
Cycle : Terra Ignota
Auteur : Ada Palmer
Publication : Head of Zeus (19 décembre 2017)
Nombre de pages : 352
Format : papier et ebook


12 réflexions sur “The Will to Battle (La Volonté de se battre) – Ada Palmer

  1. Hier soir, j’ai tourné la dernière page de  » Sept redditions « .
    Et franchement après les 70 premières pages du tome 1, j’étais à des années lumières d’imaginer que
    j’allais me prendre une claque pareille.
    J’en suis encore tout pantelant, abasourdi , bluffé….
    J’ai pas les mots tant Ada Palmer m’a retourné et pourtant j’en ai lu de la SF.

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  2. Smack !
    En revanche je suis un peu inquiet pour la diifusion ( au moins en France ) de  » Terra Ignota « .
    Je suis du sud-ouest et j’étais déjà allé sonder les libraires des boutiques indés que je fréquente assidument.
    Des 2 toulousains, le 1er n’envisage toujours pas d’attaquer le diptyque et le 2nd a lâché le bouquin
    avant la 100ème page.
    Et la libraire bordelaise interviewée cet après-midi même, m’a avoué ne jamais être entrée dans l’univers d’Ada.Du coup ne reste plus qu’un exemplaire du tome 1 dans son rayon SF et pire, elle n’envisage même pas de commander ne serais-ce qu’un seul tome 2.
    Bref, il semblerait que  » Terra Ignota  » devienne un authentique roman culte ; peut l’on lu ou le liront, mais ils
    se reconnaîtront.

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