La Survie de Molly Southbourne – Tade Thompson

Survie

En Avril 2019, les éditions Le Bélial’ publiaient dans la collection Une Heure Lumière Les meurtres de Molly Southbourne, une novella aux accents fantastiques de l’auteur britannique Tade Thompson. Elle raconte l’histoire de Molly, une jeune femme atteinte d’un mal étrange : lorsqu’elle saigne, elle engendre des doubles d’elle-même, des hémoclones, des dopplegangers plus ou moins maléfiques. Prise dans un jeu de miroirs cauchemardesque où s’échange perpétuellement le rôle du monstre et de sa victime, Molly passe sa vie à se débarrasser de ces mollies, pour survivre. Le texte, parfaitement maîtrisé, oppressant et horrifique, offrait plusieurs niveaux de lecture entre psychologie de l’enfant devenant adulte et rapport à l’étrangeté du corps. D’une redoutable efficacité, il s’est imposé auprès des lecteurs comme l’un des favoris de la collection et avait reçu le Prix Julia-Verlanger 2019. En outre, la fin laissait entrevoir une suite. La voici avec La Survie de Molly Southbourne qui sort le 11 Juin dans la même collection, à nouveau sous une traduction de Jean-Daniel Brèque et derrière une couverture d’Aurélien Police.

L’histoire reprend exactement là où Les Meurtres de Molly Southbourne l’avait laissée, à la sortie de la maison où on avait rencontré Molly dès les premières pages. Mais à la faveur du retournement de situation qui constitue le secret irrévélable du premier opus, c’est un tout autre récit que Tade Thompson livre dans La Survie de Molly Southbourne. C’est avant tout un récit de survie, comme le titre l’indique. C’est un récit dans l’urgence, hâché et rapide, survolant le temps et les événements, écrit au présent lorsque Les Meurtres était un grand retour en arrière sur une histoire qui se dévoilait par le témoignage que produisait Molly elle-même à partir de ses souvenirs.

Molly tente de trouver une vie normale mais réalise rapidement à ses dépends que cela ne lui est pas permis. Elle est en rupture avec le monde et avec elle-même. La réalité la fuit, emportant avec elle le peu de santé mentale qui lui restait. Molly sombre et se retrouve un temps internée. Le récit bascule et accélère à la moitié de la novella, lorsque Molly se fait tirer dessus par une femme inconnue. Et, avec lui, c’est toute l’histoire même de Molly Southbourne, celle que l’on croyait connaître depuis Les Meurtres, qui s’effondre dans un twist auquel on ne s’attend pas car… car il est facile et d’une certaine manière réducteur. C’est un retournement, voire un changement de perspective, qui arrive brutalement, que rien ne prépare vraiment ni dans Les Meurtres, ni dans la première moitié de La Survie. Avec lui s’effondrent aussi les multiples niveaux de lecture qu’offrait Les Meurtres car, loin de les éclairer, il les remplace par d’autres que pointe la citation extraite du Frankenstein de Mary Shelley placée en exergue du texte.

« Je sentirai l’affection d’une créature sensible,
et serai relié à la chaîne de l’être et de l’histoire,
dont je suis à présent exclu. »

Le monstre est condamné à s’inventer et à connaître les doutes et souffrances des gens ordinaires, engeance à laquelle il n’aura jamais le bonheur d’appartenir. S’en suit une autre fuite, une recherche d’identité et une autre reconstruction au cours de laquelle Molly doit tout oublier de son passé et de ce qu’elle a appris, de ce qu’elle croyait devoir être ses règles de vie. Il y aura au cours du récit des révélations, notamment sur les origines. Mais La Survie me semble avant tout être une transition, un pont entre Les Meurtres et un avenir en cours d’écriture sous un titre évocateur  : Molly Southbourne: Hayflick Limit. (La limite d’Hayflick est le nombre de divisions qu’une cellule peut subir avant de montrer des signes de sénéscence.)

Après Les Meurtres de Molly Southbourne, La Survie de Molly Southbourne prolonge l’histoire dans une direction, et avec des moyens, qui ne donne pas à cette suite le charme inquiétant et la complexité, notamment psychologique, qu’on trouvait dans le premier. À sa lecture, il m’a semblé que Tade Thompson s’engouffrait dans le passage obligé d’un changement de paradigme qui va lui permettre, à l’avenir, de développer une autre page de l’histoire de Molly Southbourne. Un volume de transition, donc, mais auquel il manque des dimensions lorsqu’on le compare avec Les Meurtres. Comme un tesseract qui se serait replié sur lui-même.


D’autres avis : Apophis et Gromovar sur la VO et sur la VF : Les chroniques du chroniqueur, Au pays des Cave Trolls, La bibliothèque d’Aelinel, Les lectures du Maki, Le Bibliocosme, Ombre Bones, Xapur, Les notes d’Anouchka,


Titre : La survie de Molly Southbourne
Auteur : Tade Thompson
Traduction : Jean-Daniel Brèque
Publication : le 11 Juin 2020, coll. Une Heure Lumière chez Le Bélial’
Nombre de pages : 128
Format : ebook et papier
En précommande sur le site de l’éditeur.


25 réflexions sur “La Survie de Molly Southbourne – Tade Thompson

    1. Cela dépend de ce qu’on attend. J’avais aimé l’approche symbolique des Meurtres, quasi-psychanalytique, comme dans Vita Nostra de Marina et Sergei Diatchenko. Je ne la retrouve pas ici. Si elle est présente, je suis passé à côté. Certains lecteurs apprécieront sans doute ce récit plus direct, moins métaphorique.

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      1. C’est aussi ce que j’avais apprécié dans les Meurtres. Du coup lire que ce n’est pas présent ici me refroidit un peu. Ce qui ne signifie pas que je ne vais pas apprécier le livre, simplement que je pars avec des attentes moins élevées.

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