L’Essence de l’art – Iain M. Banks

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Dans le cycle de la Culture, Iain M. Banks imagine une civilisation utopique post-humaniste, technologiquement très avancée, politiquement anarchiste, moralement hédoniste, socialement égalitariste, regroupant pan-humains, races extra-terrestres assimilées à la Culture et intelligences artificielles conscientes, aux contours géographiques, démographiques et structurels flous. La Culture n’a pas de planète mère, elle est dispersée dans la galaxie, vivant principalement à bord d’orbitales, d’immenses structures artificielles. Afin d’assurer le confort matériel et moral de tous les citoyens, la production est entièrement automatisée. La notion de propriété est inexistante, la notion de genre est variable. La plupart des citoyens ont opté pour des transformations génétiques assurant longévité, adaptabilité rapide, et contrôle du corps via des glandes sécrétrices de substances chimiques dopantes. Afin d’assurer sa stabilité, la Culture a décidé de placer le pouvoir entre les mains d’intelligences artificielles bienveillantes, les Mentaux. Au sein de la Culture, tout va bien, et il y fait bon vivre.

Ce n’est donc pas au sein de la Culture qu’il va se passer des choses intéressantes, mais à sa marge, c’est à dire là où Contact, le service diplomatique et militaire de la Culture, agit. Car comme toute société persuadée de sa supériorité technologique et morale, la Culture a tendance à intervenir dans les affaires de ses voisins, moins avancés, moins égalitaristes, moins gentils. Iain M. Banks pose dans le cycle, et sous diverses formes, le dilemme de la Culture face aux civilisations qui ne partagent pas tout à fait les mêmes idéaux et les ambiguïtés de l’impérialisme culturel auquel s’adonne la méta-civilisation. Les romans qui constituent le cycle, il y en a neuf, explorent tous, d’une manière ou d’une autre, les contacts entre la Culture et d’autres civilisations à sa marge.  Ils parlent de ceux qui ne sont pas dans la Culture, ou n’en sont plus, et qui soulèvent la question de l’éthique.

Iain M. Banks a ouvert le cycle avec Une Forme de guerre (1987) et L’Homme des jeux (1988) et révolutionné le space-opera. En 1989, il publie L’Essence de l’art (State of the Arts) qu’on trouve dans le recueil du même nom publié chez Le Bélial’ en mars 2010. Cette novella de 130 pages aborde une question essentielle que tout lecteur du cycle se pose à un moment ou un autre : comment s’est passée la première rencontre entre la Culture et la Terre ?

C’est en 1977 que le vaisseau L’Arbitraire est venu se placer en orbite autour de notre planète nous dit Iain M. Banks. L’Essence de l’art n’est pas une uchronie et, si personne n’a souvenir de ce premier contact, vous devez bien vous douter de la tournure des événements. L’intérêt de la novella n’est donc pas dans son dénouement mais dans la construction de celui-ci. Il est aussi surtout dans le fait qu’en confrontant Contact avec notre civilisation, celle sur laquelle nous sommes le plus à même de porter jugement, Iain M. Banks fait un réquisitoire contre l’humanité et pose l’argumentaire qui explique de façon meta-fictionnelle la création de la Culture en tant qu’utopie romanesque. Pour séparer le beau du laid, Bank ne prend pas de gants. L’heure n’est pas aux discours subtils et distingués mais à la plaidoirie thermonucléaire. Deux agents de Contact vont s’affronter (intellectuellement) sur ce terrain : Dervley Linter qui choisit de quitter la Culture pour vivre au sein de l’humanité et Diziet Sma qui ne perçoit chez l’homme que sa barbarie. Dans les deux cas, c’est bien Iain M. Banks qui livre son opinion sur l’humanité et sur la Culture. Lorsqu’il parle de création artistique, il réfute la parabole de l’horloge à coucou d’Orson Welles selon laquelle l’art est le produit de la souffrance, affirmant que la production mondiale de soap-opera ne saurait justifier des massacres cambodgiens. Lorsqu’il parle de liberté et de sécurité au sein de la Culture, il y oppose le libre arbitre.

La lecture de L’Essence de l’art est à mon avis indispensable pour qui s’intéresse à la Culture d’Iain M. Banks car la novella constitue une pièce essentielle du puzzle. On y trouve tout ce qui fait le charme du cycle : l’humour, les facéties des intelligences artificielles, la dissymétrie des rapports de force et les dilemmes moraux qui en découlent. Comme la plupart des livres qui composent le cycle, tous indépendants, il n’est besoin d’aucune connaissance a priori pour le lire, mais ce n’est pas le texte par lequel il faut commencer – on cite souvent L’Homme des jeux comme porte d’entrée, voire l’excellent L’Usage des armes si sa structure alambiquée ne rebute pas. Il faudra que la curiosité soit déjà éveillée. Il serait toutefois profitable de le lire parmi les premiers car il éclaire l’intention.


Titre :  L’Essence de l’art
Auteur : Iain M. Banks
Cycle : La Culture
Traduction  : Sonia Quémener
Publication : dans L’Essence de l’art, Le Bélial’ (2010) et Livre de poche (2013)
Nombre de pages : 128
Format : Grand Format et poche



16 réflexions sur “L’Essence de l’art – Iain M. Banks

      1. J’avais du m’y reprendre à deux fis avec L’usage des armes puis j’avais enchaîné avec L’homme des jeux.
        Du coup je me dis qu’il faudrait que je retourne un peu voir Banks. La Culture ne peut pas faire de mal 😉

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          1. Je vais tous les lire, l’essence de l’art sera le prochain et pour le moment après avoir lu une forme de guerre, l’homme des jeux, inversion, l’usage des armes reste, pour moi, le plus original et surprenant. Mais je me régale toujours avec le style d’écriture de I.M.Banks, une valeur sûre de la SF;

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          2. Bof, l’univers est intéressant mais les romans ont un rythme assez lent. J’ai souvent eu du mal à les finir, sauf « Une forme de guerre » que j’ai dévoré.

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  1. Cette novella répond, à mon sens, surtout à la question qui était posée en filigrane dans le cycle avant sa publication, à savoir si les humains faisant partie de la Culture sont originaires de la Terre… ou pas. Là on a clairement la réponse : la Culture n’est pas une civilisation humaine (et IA) de notre futur, puisque Culture et humains non-terrestres (ou des humanoïdes similaires) existaient déjà dans notre passé.

    Sinon, vu la présence de Diziet Sma et de Skaffen-Amtiskaw, je conseillerais, à titre personnel, de la lire avant L’usage des armes.

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    1. En fait, ça on le sait dès Une forme de guerre, puisque la guerre Idirans-Culture se déroule au XIIIème siècle du calendrier chrétien d’après Une brève histoire de la guerre Idiriane, ouvrage destiné à la Terre lors de premier contact formel en 2110 (dans les appendix d’Une forme de guerre). Ce qui par ailleurs pose la question de notre futur au sein de la Culture une fois la prise de contact effectuée. Mais à ma connaissance, on ne sait jamais si la Terre a rejoint ou pas la Culture in fine.

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      1. D’ailleurs, L’Essence de l’art est le compte rendu de Diziet Sma rédigé 115 ans après les événements décrits, à destination d’un étudiant de la Culture faisant une recherche universitaire portant sur la Terre. 115 ans, cela nous amène en 2092, soit seulement 18 ans avant la prise de contact formelle. Coïncidence ? Je ne crois pas.

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      2. Salut FeydRautha,
        en fait il y une une succession d’accrochages ou d’engagements limités à partir de 1267, mais
        officiellement la guerre Idirans/Culture dure 48 ans ( et 1 mois ), de 1327 à fin 1375.
        En ce qui concerne la chronologie du corpus des textes de La Culture, à une ou deux approximations près, on peut se fier au paragraphe 10 ; List of books describing The Culture de ce lien.

        https://en.wikipedia.org/wiki/The_Culture

        Le souci c’est qu’en 2092, Diziet Sma ne peut pas être à la fois sur Terre pour Contact et supérieur direct de Zakalwé pour Circonstances Spéciales.

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