Une BD : La Couleur tombée du ciel – Gou Tanabe

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Le 5 mars est sortie la nouvelle adaptation d’un texte de H.P. Lovecraft par Gou Tanabe. Après l’adaptation magistrale en deux tomes des Montagnes hallucinées (chroniques ici et ), et celle non moins épatante de Dans l’abîme du temps, le mangaka poursuit son œuvre en s’attaquant cette fois-ci à La Couleur tombée du ciel. The Colour out of Space – de son titre d’origine –  est une nouvelle de 1927 publiée dans Amazing Stories par Hugo Gernback. Pour la petite histoire, c’est aussi le dernier texte que Howard P. Lovecraft, mécontent du prix dérisoire que l’éditeur lui versa pour sa nouvelle,  soumettra au magazine.

L’inspiration du texte et de cette couleur venue d’ailleurs n’existant pas dans le spectre de la lumière habituelle, se trouve très probablement dans un scandale de l’époque. À partir de 1917, la compagnie United State Radium Corporation emploie des jeunes ouvrières pour peindre des cadrans de montre avec une peinture fluorescente à base de radium. Ces employées développèrent des maladies liées à l’ingestion de radium. Les premiers décès sont signalés entre 1922 et 1924 et la maladie est identifiée par le docteur H.S. Martland en 1924. Les maux dont elles souffrirent incluent des tumeurs osseuses  et une nécrose de la mâchoire. La presse s’étant fait l’écho de ce scandale, il est certain que Lovecraft en avait connaissance.

Le narrateur est un jeune géomètre de Boston envoyé dans les montagnes à l’Ouest de la cité fictive d’Arkham pour effectuer des repérages en vue de la réalisation d’une retenue d’eau pour alimenter Boston. Sur place, il découvre une terre désolée, une lande foudroyée. Il apprend des habitants du coin la terrible histoire de la famille Gardner qui occupait cette terre 30 ans auparavant, suite à la chute d’une météorite. Ce furent d’abord des événements troublants comme une lueur perceptible la nuit, des animaux apeurés, puis des plantations mourantes remplacées par une végétation extraordinaire. Puis l’horreur.

La Couleur tombée du ciel est considérée comme un des textes majeurs de Lovecraft, le préféré du maître lui-même, et il a inspiré nombre d’œuvres ultérieures, jusqu’à récemment la trilogie du Rempart Sud de Jeff VanderMeer.  L’auteur s’y illustre par un style très travaillé, plus encore qu’à l’accoutumée et je ne résiste pas à l’envie de reproduire ici les premières lignes du texte original parce que, par Nyarlathotep, que c’est bien tourné !

« West of Arkham the hills rise wild, and there are valleys with deep woods that no axe has ever cut. There are dark narrow glens where the trees slope fantastically, and where thin brooklets trickle without ever having caught the glint of sunlight. On the gentler slopes there are farms, ancient and rocky, with squat, moss-coated cottages brooding eternally over old New England secrets in the lee of great ledges; but these are all vacant now, the wide chimneys crumbling and the shingled sides bulging perilously beneath low gambrel roofs. »

L’adaptation en manga perd inévitablement la qualité des phrases écrites, ne retenant que des dialogues raccourcis à l’extrême pour les faire tenir en case. Les descriptions se retrouvent sous le trait du dessin. Gou Tanabe avait excellé à transcrire en larges planches les décors fabuleux de l’Antarctique dans Les Montagnes Hallucinées ou ceux hallucinants de la cité au milieu du désert australiens dans Dans l’abîme du temps, mais la géographie de La Couleur tombée du ciel se limite à celle d’une ferme isolée de la Nouvelle Angleterre. Gou Tanabe est limité par le texte lui-même et ne trouve pas là le moyen de laisser exploser son talent. En cela, cette nouvelle adaptation est décevante. Il y a certes quelques images horrifiques tout à fait saisissantes, mais dans l’ensemble on ne retrouve pas la beauté des précédents volumes. De plus, le thème de l’étrange couleur est omniprésent dans le texte original, à travers la lueur dans la nuit, dans la végétation fantastique qui envahit la ferme, au fond du puit… Le dessin en noir et blanc trouve ici ses limites car, à part dans les deux premières planches qui ouvrent le livre, de couleur il n’y a pas.

La Couleur tombée du ciel adaptée par Gou Tanabe est ainsi une déception en ce qui me concerne. Je n’y ai pas retrouvé la beauté présente dans Les Montagnes Hallucinées et Dans l’abîme du temps. L’histoire est bien là, pesante, puissante, mais la mise en image n’apporte dans ce cas pas grand chose au texte. Ce n’est pas le manga par lequel je recommanderais de commencer si vous souhaitez aborder l’adaptation des œuvres de Lovecraft par Gou Tanabe.


D’autres avis : Au pays des Cave Trolls, Gromovar,


Titre : La Couleur tombée du ciel
Série : Les chefs-d’oeuvre de Lovecraft
Auteur : Gou Tanabe
Publication : 5 Mars 2020 chez Ki-oon
Langue : français
Nombre de pages : 185
Format : papier
Prix : 15€


18 réflexions sur “Une BD : La Couleur tombée du ciel – Gou Tanabe

  1. Je suis plutôt du même avis mais je me montrerai plus tolérant vu la difficulté d’adapter ce récit. Personnellement j’ai passé un bon moment de lecture même s’il est inférieur aux précédents volumes.
    A noter que cette publication est antérieure aux Montagnes hallucinées et l’Abîme du temps. Ce qui explique peut être sa qualité moindre.

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      1. 2015 La couleur tombée du ciel
        2016 Les montagnes hallucinées
        2018 Dans l’abîme du temps
        Il a aussi adapté en 2007 « Je suis d’ailleurs » dans un volume comprenant deux autres histoires qui ne sont pas de Lovecraft (The outsider) 🙂

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