Complainte pour ceux qui sont tombés – Gavin Chait

complainte

Alors que n’en finissent plus de s’égrainer les dernières heures de 2019, j’ai lu Complainte pour ceux qui sont tombés de Gavin Chait. Le roman est le premier de l’auteur né à Cape Town et qui a parcouru le continent africain une bonne partie de sa vie. Il aura mis trente ans à l’écrire, dit-il dans la postface du livre. Publié sous le titre original Lament for the fallen en 2016, traduit par Henry-Luc Planchat et publié chez Le Bélial’ en 2018, ce roman aurait pu être très bien. Il ne l’est pas. La faute en incombe en grande partie à son personnage principal.

Au XXIe siècle, l’humanité s’est lancée à la conquête de l’espace et a essaimé sur l’orbite basse de la Terre. Des cités orbitales furent construites par des nations, d’autres par des compagnies privées. On y accède par des ascenseurs spatiaux et des millions de personnes vivent désormais au-delà du ciel et des nuages. Ces cités sont devenues autosuffisantes et comme dans toute colonie éloignée arriva un moment où ces sociétés se prirent d’indépendance. La plus grande était la cité chinoise de Yuèliàng. Lorsque celle-ci a déclaré unilatéralement son indépendance, le parti unique a très mal pris les choses. C’est ainsi que fut déclenchée la guerre orbitale. Yuèliàng fut détruite, ainsi que deux autres cités de son voisinage, et près d’un million de personnes périrent. L’orbite basse est désormais jonchée de débris qui en rendent l’accès périlleux. Les cités qui le pouvaient ont quitté leur orbite. Certaines sont aujourd’hui, au XXIIe siècle, parties vers Mars ou Titan et d’autres ont quitté le système solaire. La plus vaste des cités restantes est Achenia, la cité américaine. Comme dans les autres cités orbitales, les habitants vivent dans une utopie quasi-parfaite. Le niveau de développement technologique est extrêmement avancé et les habitants, devenus transhumains, ne subissent plus les affres du vieillissement. Achenia se prépare elle-aussi à quitter le giron de la planète mère. Lui faut-il encore déclarer à son tour son indépendance.

Sur Terre les choses ne sont pas brillantes. Les changements climatiques ont fait des dégâts et redessiné les cartes, des pollutions gigantesques liées à l’abandon des infrastructures de l’ancienne économie des énergies fossiles ont condamné certaines zones. La guerre orbitale a eu des conséquences politiques importantes. L’ONU a cessé d’être, l’EU a éclaté et il n’y a plus un seul état organisé au sud du Sahara. C’est là que se déroule la majeure partie du roman, plus précisément dans l’ancien Nigeria. La situation est des plus chaotiques, les villes sont livrées à des seigneurs de la guerre dont les bandes s’affrontent pour contrôler l’économie locale et massacrent allègrement souvent sans autre raison que d’inspirer la peur. Gavin Chait n’hésite d’ailleurs pas à montrer cette violence dans le roman. En dehors des villes, des communautés se sont organisées et tentent de survivre loin des violences qui ravagent le continent. L’une d’elle est le village d’Ewuru dont les habitants tentent l’expérience de l’utopie et visent à développer un chapelet de villages autosuffisants et indépendants, le long de la rivière Akwayafe qui se jette dans le golfe pollué de Guinée à proximité de la ville de Calabar tenue par des milices.

Un jour l’Achénien Samara tombe du ciel à bord d’un engin volant et s’écrase à proximité d’Ewuru. Gravement blessé, il est recueilli par les habitants du village dont son chef Joshua. Samara tentera de rentrer chez lui avant qu’Achenia ne quitte son orbite.

L’intrigue est le prétexte à confronter – sans opposer – deux utopies, l’une spatiale et l’autre africaine, comme deux solutions possibles à la déliquescence du monde. Rendant hommage à la tradition orale africaine, Gavin Chait fait appel aux contes à portée philosophique qui viennent ponctuer son récit et solidifier – sans doute un peu trop – son discours. La quatrième de couverture cite le roman Kirinyaga de Mike Resnik comme référence afrofuturiste. Les deux textes pourtant s’opposent car Kirinyaga est une dystopie dans laquelle les contes sont utilisés pour confiner la société dans la tradition. Gavin Chait opère un renversement dans Complainte pour ceux qui sont tombés car les contes, notamment sous l’influence de Samara, sont au contraire utilisés pour promouvoir l’humanisme et le progrès. Tout ceci aurait pu aboutir à un formidable roman, passionnant à lire – et il l’est par certains côtés – mais malheureusement Gavin Chait gâche les choses en faisant une erreur qui empêche son récit de se développer de manière satisfaisante pour le lecteur. Cette erreur s’appelle Samara.

Samara n’est pas un simple citoyen d’Achenia. Il est l’un des Neuf, c’est-à-dire un transhumain fortement modifié pour devenir une arme surpuissante. Ces Neufs soldats sont quasiment indestructibles et peuvent tenir tête à n’importe quelle armée terrestre. Le président américain lui-même tremble devant eux. Samara est un (super) héros auquel il ne peut strictement rien arriver et qui va régler de manière expéditive toute menace quelle qu’elle soit. La conséquence de cela est l’absence  totale de tension dramatique puisque jamais dans le récit il n’y aura l’ombre d’un antagonisme. Le paroxysme est atteint dans une scène, illustrée par Manchu en couverture, dans laquelle les Neufs réunis livrent bataille dans l’espace. De bataille, il n’y a pas vraiment. On pourrait parler de nettoyage express. Ainsi par la force exagérée des choses, le roman se déroule mollement sans virage ni faux plat.

Conclusion lapidaire

Complainte pour ceux qui sont tombés est un roman qui aborde des thématiques passionnantes, défend l’utopie face à l’immense production des dystopies en SF, a la grande qualité de placer le récit en Afrique, ce continent trop souvent oublié par la science-fiction, mais qui est affaibli du point de vue purement romanesque par un choix de personnage qui le contraint malheureusement à une certaine platitude. Le roman aurait été plus fort avec un personnage plus faible.


D’autres avis de lecteurs : Apophis, Yozone,  Yossarian, l’Abedo, Au Pays des Cave Trolls,


Titre : Complainte pour ceux qui sont tombés
Auteur : Gavin Chait
Traducteur : Henry-Luc Planchat
Editeur : le Bélial’
Publication : 1 Novembre 2018
Nombre de pages : 432

Support : papier et ebook

Sur le site de l’éditeur : Complainte pour ceux qui sont tombés


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