Rivages – Gauthier Guillemin

rivages-guillemin-bd

Pénultième sortie de l’année chez Albin Michel Imaginaire après tout juste un an d’existence, l’éditeur publie le 30 Octobre Rivages de Gauthier Guillemin, un roman de fantasy sylvestre. Quoi ? t’étonneras-tu lecteur pugnace, de la fantasy sur L’épaule d’Orion ? Hard-SF et contes féériques, ne serait-ce pas comme ours et moutons dans un même clapier ? Tout d’abord, ce n’est pas le premier livre de fantasy chroniqué sur ce blog, ni le dernier, et puis j’étais curieux. Voilà.

Curieux de quoi ? insisteras-tu lecteur inquisiteur. Curieux de ce qui s’écrit en langue française en SFFF. En lançant ce blog, j’ai réalisé que mes lacunes dans ce domaine étaient importantes, alors je me soigne. Et puis il y a cette très belle couverture signée Aurélien Police et un portrait de l’auteur par l’éditeur qui le décrit comme quelqu’un qui a parcouru la Guyane en pirogue. Ce détail interpelle car il est mis en avant et on se demande si on va retrouver ces pérégrinations dans les couleurs du texte. Un peu comme chez cet autre écrivain, Thomas Day, qui lui aussi a voyagé et chez qui on les trouve ces couleurs. L’éditeur et l’auteur se sont rencontrés lors d’un speed-dating aux Imaginales. Ils ont peut-être parlé de voyages.

« – Tu me liras des poèmes ? demanda-t-elle.
– Pas ceux-là : ce ne sont que des fantasmes qui ne peuvent plus rien pour moi. Ils témoignent d’un monde où le merveilleux n’a pas sa place. »

Paraissait il y a peu le recueil Contes hybrides de Lionel Davoust qui s’ouvre sur le texte Le sang du large. L’auteur y parle d’un écrivain qui fuit la civilisation et s’isole sur une île pour retrouver le sens du merveilleux et ne plus le perdre. Il le rencontre sous la forme d’une présence féérique qui le séduit au bord du rivage, et lui raconte la légende de son peuple. La même intention dirige le roman de Gauthier Guillemin. Elle donne corps au récit et marque sa construction. L’auteur invoque directement la poésie dans les épigraphes qui couronnent les chapitres du roman. Il cite tour à tour Victor Hugo, Charles Baudelaire, Gérard de Nerval, Blaise Cendrars ou encore Rousseau et Bachelard (mais pas Julien Gracq). Derrière ces choix classiques, voire scolaires, on voit poindre l’Education Nationale qui abrite l’auteur durant le jour. On voit aussi le désir d’inscrire l’homme dans la nature et inversement, et une forte influence baudelairienne.

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Charles Baudelaire, Correspondances.

Notre guide en terres de légendes, est le Voyageur. C’est sous ce seul nom que nous le connaîtrons car c’est celui qu’il se donne quand il quitte sa cité au début du roman. La Cité est semblable à la nôtre, faite de béton et d’acier, de tuyauterie, de bruit, d’exhalaisons pestilentielles et de bruines pulvérulentes. C’est une cité moderne et polluée qui broie l’humain plus qu’elle ne le protège et qui s’étend vers le Dômaine à coup de bulldozers. Le Dômaine est cette forêt interdite, redoutée, hostile, qui enserre la ville et de laquelle l’homme se cache derrière les murailles. Le Voyageur n’aime plus la ville et il la quitte. Il entre dans le Dômaine, avec la certitude de ne pas y survivre très longtemps. Pourtant c’est la vie qu’il va y trouver, la magie et les légendes. Rapidement il se découvre un pouvoir, celui de voyager à travers les arbres, de pénétrer dans un tronc et de ressortir par un autre. La forêt l’accueille, le reçoit, et l’encourage à pénétrer plus loin. Rapidement encore, il va rencontrer une femme, Sylve, qui sera son amour. Elle n’est pas humaine, elle est Ondine et son regard aucun homme ne peut le contempler sans être tourné en statue pétrifiée. Sylve habite un village au creux de la forêt. Elle lui raconte sa légende, celle de son peuple privé de ses rivages d’origine par les hommes et condamné à vivre sur ces terres qu’il loue à un seigneur local.

« Tu pérégrineras, répéta le Voyageur, le mot n’est pas commun. On dirait une errance sémantique avant tout. Le long des rayonnages des bibliothèques.»

Rivages n’est pas une œuvre de fantasy au sens où on peut le concevoir à une époque marquée par le jeu des trônes. Gauthier Guillemin ne fait pas le récit de conflits politiques opposant des royaumes, de conquêtes ou de batailles. Tout cela est évoqué dans les légendes. Le lecteur ne devra pas s’attendre à être plongé dans un univers de fantasy construit de manière cohérente. Rivages est un conte onirique qui a pour centre de gravité le rêveur, celui qui voyage et l’univers décrit évolue au cours des pages avec le Voyageur. Il y a d’abord  et surtout la présence absolue de la forêt, à chaque page du roman. Elle en est le décor. Elle accueille, protège et nourrit mais présente aussi des dangers. L’osmose est la règle pour y vivre. Elle est aussi source de connaissance. En opposition à la technologie de la Cité, la vie dans la forêt appelle la magie. Le Voyageur a besoin de se découvrir un pouvoir pour y vivre. Les manifestations de l’imaginaire vont croissantes ; la magie apparait progressivement et se fait de plus en plus présente. Il s’agit d’abord de quelques runes gravées sur les fontaines, puis des sortilèges pour se protéger, des potions concoctées avec des plantes sauvages pour se soigner. Puis les choses se corsent, apparaissent des armes magiques, des sorts puissants, des mages, des guerriers, des nains, et même des dragons. On y croise aussi des références aux grands textes de fantasy classiques, au premier rang desquels Le Seigneur des anneaux dont certaines scènes sont directement tirées (celle de la rivière par exemple). Mais nous ne sommes pas dans de la fantasy épique pour autant. Le propos du livre est ce à quoi aspire le Voyageur, et ce qu’il provoque. Pour se faire accepter par le village, il doit en faire la demande explicite. De la même manière, tout ne se déroule dans le roman qu’en fonction du désir du Voyageur. C’est sa soif de légendes qui amène les récits, sa soif d’émerveillement qui convoque la magie, et son insatiable besoin d’aller plus loin qui provoque la quête. Au moment où il se laisse aller à s’installer dans cette rêverie, le coup de pied viendra de la rationalité, de la science, c’est-à-dire sous la plume de Gauthier Guillemin, de l’ultime tromperie du monde (forcément, à ce moment, je fronce un sourcil.) Le Voyageur repart et voyage jusqu’à ce qu’il oublie ce qu’il laisse derrière lui et arrive exactement là où il voulait être. Au bout du voyage.

Conclusion lapidaire

Rivages de Gauthier Guillemin n’est pas un roman de fantasy, c’est une allégorie, une plongée dans l’imaginaire comme fuite. C’est un appel au voyage, à un retour à un lien profond  avec la nature, avec la géographie. On imagine assez facilement que c’est le même appel qui dirigeait la pirogue en Guyane. L’amateur de fantasy s’y retrouvera s’il accepte le postulat de départ qui est que Rivages est une quête personnelle et onirique où, dans la nostalgie des légendes et de la nature, l’homme cherche un refuge face au monde moderne. Nous sommes ici  loin de mes goûts habituels en littérature de l’imaginaire plutôt portés vers la SF dure mais je prends l’expérience comme elle vient et je n’ai pas été insensible à l’intention de ce roman. Je ne prétendrai pas avoir été totalement transporté, plutôt porté entre deux eaux. Finalement la curiosité qui m’a fait lire ce livre reste entière.  Il y a une suite prévue, et je la lirai.

Pour aller plus loin : Les Chroniques du chroniqueur nous propose une interview de l’auteur.


D’autres avis de lecteurs : L’ours anarchiste, Just A Word, La bibliothèque d’Aelinel, acaniel, Uranie, Au pays des Cave Trolls, Le monde d’Elhyandra, Les critiques de Yuyine, Les lectures de Xapur, Les chroniques du chroniqueur, RSF blog, Yossarian, Pativore,


Titre : Rivages
Auteur : Gauthier Guillemin
Publication : 30 Octobre 2019 chez Albin Michel Imaginaire
Nombre de pages : 256
Support : papier et ebook


37 réflexions sur “Rivages – Gauthier Guillemin

  1. Très belle chronique. Presque tout est là de moi, jusqu’à une culture embarrassante mais en faire l’économie aurait été mentir ; ce sont aussi les derniers oripeaux dont le voyageur doit se débarrasser. Chronique courageuse aussi pour un amateur de SF !

    Aimé par 1 personne

  2. Alors déjà, la couverture m’intriguais depuis quelques jours à force de la voir passer sur les réseaux sociaux, et j’attendais avec hâte de lire des chroniques dessus. Et bien j’ai encore plus envie de me le procurer maintenant !
    J’ai l’impression de tourner un peu en rond en fantasy en ce moment (même si ça ne se résume pas qu’à des jeux de trônes bien heureusement) , alors fantasy + onirisme ça m’interpelle et m’attire vraiment !

    Aimé par 1 personne

    1. Cette impression de tourner en rond en fantasy, je l’ai aussi. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’en lis peu ces temps-ci. Alors quand une intention complètement différente se manisfeste, ça m’intéresse particulièrement.

      J’aime

  3. tu as lu ma conclusion, toi, non ?…. Pourtant, je ne t’ai pas donné les mots de passe ? Ou es-tu un diable informatique ?
    Bref, j’ai la même perception que toi. Ce n’est pas un roman de fantasy, mais une ôde (c’est le terme que j’utilise dans ma chronique), à la nature, à la remise en question, une certaine forme de contemplation intérieure.
    Tout en étant une fuite , la recherche de se perdre loin de la réalité.

    Très belle chronique, je retrouve ma lecture.

    Aimé par 1 personne

      1. Mais fous, tous les deux. Il y a de fortes probabilités.

        C’est marrant, c’est un roman qui m’a beaucoup touchée, alors que nous sommes très loin de mes chemins de traverses habituels…

        J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.