Les éditions Mille Cent Quinze sont une jeune maison d’édition indépendante et lyonnaise créée par Frédéric Dupuy en 2016. Elle publie romans, nouvelles et novellas d’auteurs français émergents ou confirmés. J’ai déjà eu l’occasion d’en parler sur l’épaule d’Orion en chroniquant trois textes courts publiés par cette maison : une science-fiction débridée de Nicolas Le Breton, Les jardins du feu et du vide, un récit horrifique d’Emmanuel Quentin, Céder la place, et une anticipation réaliste et spatiale d’Arnauld Pontier, Sur Mars. Le format court, c’est la quintessence de l’art en SF, mais les publications en français sous ce format restent rares en dehors des anthologies souvent frustrantes car inhomogènes du point de vue de la qualité des textes présentés. Pourtant les lecteurs de SF en sont friands et le succès de la collection Une Heure-Lumière chez Le Bélial’ le montre. Quand une maison comme 1115 propose à son tour une collection de textes courts, tel le gardon à la nageoire rouge et aux reflets métalliques, je frétille. J’ai d’ailleurs inscrit deux autres textes à venir chez 1115 dans ma sélection des lectures d’Automne, l’un de Nicolas Le Breton et l’autre de Louise Roullier. Le 18 Septembre, la maison a sorti Contes Hybrides, un recueil de textes signés par Lionel Davoust. Je n’avais jusqu’ici lu que très peu de textes de cet auteur dont le terrain de jeu favori est la Fantasy, qui n’est pas le mien. L’occasion était donc toute trouvée pour approfondir.
Contes Hybrides est un tout petit livre de 144 pages au format 11×15 à la couverture particulièrement colorée. Cela ne rend pas sur un écran mais c’est une couverture qu’il faut poser sous un rayon de soleil pour en apprécier toute la saveur. Il contient trois nouvelles ici rééditées : Le sang du large, précédemment publiée dans Contes de villes et de fusées en 2010, Point de Sauvegarde (La Guerre, anthologie d’une belligérance, 2011) et Bienvenue à Magicland (Trolls et Licornes, 2015).
Le sang du large
La nouvelle qui ouvre le recueil avait de quoi me faire fuir. Lionel Davoust y parle de la crise d’inspiration que traverse un auteur à succès, Paul Whittemore, qui va s’isoler des mois durant sur une île, son île, pour tenter de retrouver la motivation d’écrire. Il lui faudra être confronté à la magie des mondes imaginaires pour y arriver. Les auteurs qui parlent des angoisses existentielles des auteurs me font généralement immédiatement tourner les talons. Ça ne m’intéresse pas, en dehors d’une discussion en tête à tête. Mais en fait, là, c’est bien, parce que ce n’est pas le propos. L’écriture de ce texte date de 2010, année qui a vu la publication du premier roman de l’auteur. On ne saurait donc voir dans le personnage de Paul Whittemore un double de Lionel Davoust. Il s’agit plutôt d’une lettre d’intention, sur le mode intimiste, dans laquelle Lionel Davoust trace la voie qu’il va suivre dans sa carrière littéraire, à savoir invoquer la féerie pour que celle-ci jamais ne disparaisse. Il s’agit d’un texte sur le regard que l’on porte sur le monde. L’écriture y est belle, avec un sens affirmé de la formulation. Je suis resté scotché un bon moment sur ce simple aphorisme : « J’ai grandi plus vite que mon imaginaire ».
Point de sauvegarde
Le second texte relève de la SF pure et dure. Il s’agit d’une SF militaire avec un franc aspect hard-SF, qui rappelle Robert Heinlein (Starship Troopers) ou plus récemment Peter Watts (ZeroS ou Collateral). Nous sommes en 2050 et trois cyborgs militaires sont largués du côté de Manaus pour aller mater quelques rebelles récalcitrants, les Sans-Terre, dans la forêt amazonienne. (On notera au passage la difficulté de l’anticipation, car si les cyborgs pourraient bien exister en 2050, la forêt amazonienne ne sera plus qu’un souvenir. Enfin, bon…) Leurs corps mécaniques sont pourvus d’augmentations technologiques qui les rendent effectivement invincibles et n’abritent plus comme composant biologique que leur cerveau. Et encore, on peut les télécharger à loisir en cas de mort inopinée pour les renvoyer au feu. Seulement voilà, la mission dans laquelle sont réfugiés les rebelles se trouve dans une zone de brouillage électromagnétique qui va rendre tout ce fourbis inopérant. Ils se retrouvent ainsi livrés à eux-mêmes, à leur simple part d’humanité. A nouveau, c’est le regard sur le monde qui est au centre de la nouvelle. Il y a un côté Matheson dans la chute. J’ai trouvé ce texte brillant.
Bienvenue à Magicland
Le troisième et dernier texte nous embarque dans une fantasy humoristique dont le propos rappelle celui du premier texte. Ecrit pour l’anthologie Trolls et Licornes, il parle de trolls et de licornes. C’est malin. Garam est troll et gardien de zoo. Il se situe plutôt du côté énervé du spectre des psychologies trollesques. Conscient des problèmes que son tempérament peut lui causer professionnellement (on n’écrase pas impunément la tronche d’un visiteur qui confond une licorne avec un cheval), il suit des sessions d’anger management auprès d’un psy. Sa passion dans la vie, c’est les licornes. Chez Davoust, la licorne est un animal sauvage, prédateur et carnassier qui embroche ses proies avant de les déchirer de ses crocs. On ne fait pas de câlin à une licorne. Sur le mode humoristique, Lionel Davoust propose dans ce texte une autre approche de la même thématique que les deux textes précédents, à savoir le regard porté sur le monde et la féerie qu’on y trouve si on veut bien s’en donner le mal.
Conclusion lapidaire
J’ai pris beaucoup de plaisir à lire Contes Hybrides qui présente une unité thématique d’autant plus intéressante qu’elle s’exprime à travers trois textes très différents, allant du texte intimiste à la fantasy humoristique, en passant par la SF militaire. Si mes goûts personnels m’ont fait préférer Point de sauvegarde, les deux autres textes ont tout autant de qualités. Avec un léger changement de ton tout de même. Dans le premier texte, Davoust nous dit qu’il écrit pour sauver la magie du monde, dans le deuxième qu’on va en crever si on n’y prête pas attention, et dans le troisième qu’il va nous éclater la gueule si on piétine la féerie. J’aime bien.
D’autres avis : Au pays des Cave Trolls, RSF Blog, Ombre Bones,
Titre : Contes hybrides
Auteur : Lionel Davoust
Éditeur : éditions 1115 (18 Septembre 2019)
Nombre de pages : 144
Support: papier
… Rien que pour la dernière nouvelle, faut que je lise ce recueil :3
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Je note que dès que ça parle de licornes psychopathes, tu es intéressée ! Déjà sur Equoid de Charles Stross, tu étais sur le coup. Je m’inquiète pour toi. 😉
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Damned, démasquée 😱 jaime les monstres, les machins avec des crocs, des griffes, du poison… sauf que les licornes habituelles, ben, elles manquent un peu de tout ça, quoi 😅
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Excellente conclusion de conclusion, ça achève de me convaincre.
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Intéressant, merci pour la découverte.
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C’est le troisème qtexte qui ne me tente pas du tout. Du coup je ne sais pas.
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Noté pour les Utopiales. 😉
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