Une cosmologie de monstres – Shaun Hamill

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Il y a parfois des premiers romans qui avant même leur sortie bénéficient du ramdam causé par la fébrilité joyeuse des quelques-uns, éditeurs, critiques ou blogueurs, qui l’ont eu entre les mains. Une cosmologie de monstres est de ces chanceux qui sont dès lors attendus avec l’impatience des affamés par les lecteurs en quête de frissons. En outre-Atlantique ou ici, les effets d’annonce ont fait leur œuvre et le premier roman de l’écrivain américain Shaun Hamill nous arrive au son du buzz. Jouez hautbois, résonnez musettes, le livre est sorti le 17 Septembre dans sa langue originale et sa traduction française sortira dans la foulée le 2 Octobre chez Albin Michel Imaginaire (qui d’autre, hein ? J’vous l’demande.)

Une cosmologie de monstres est un très bon roman mais ce n’est pas le roman auquel je m’attendais. Oh, ce n’est pas une déception ! Mais j’ai mis du temps à entrer dans ce livre car je ne le comprenais pas. Mon cerveau était ailleurs. Il nous était dit à son propos qu’il s’agissait «d’un hommage oblique à H.P. Lovecraft ». L’époque étant aux lovecrafteries, plus ou moins réussies, je m’attendais à un texte empruntant à l’univers du maître de Providence, comme a pu le faire l’excellent American Elsewhere qui constitue pour moi à ce jour l’une des plus stimulantes lectures dans la jeune collection Albin Michel Imaginaire. Le mot important dans l’expression citée ci-dessus est oblique. Une cosmologie de monstres n’est pas une lovecrafterie, c’est un roman qui rend hommage, parfois critique, cite abondamment et met en abyme l’œuvre de Lovecraft. Celle-ci y est présente en tant que telle, comme une œuvre littéraire, parfois indigeste, parfois profonde, qui entre dans la vie de l’auteur et de ses personnages. Mais elle ne dirige pas le roman. L’inspiration la plus évidente est celle de Stephen King. Shaun Hamill convoque dans son roman des éléments classiques du récit d’épouvante de tradition américaine : la maison hantée, la fête d’Halloween, la jeune fille rebelle, la maladie mentale, la sexualité, la petite ville de province et la famille nucléaire américaine. Celle-ci, thème classique du genre s’il en est, se trouve au centre du récit. Il est donc peu étonnant que King, l’un des grands artisans de cette tradition, ait apprécié le livre. C’est son royaume et, loin de l’horreur cosmique et indicible d’HPL, nous sommes ici dans l’horreur next-door. Ou presque.

Une cosmologie de monstres est une saga familiale, portée sur 3 générations, principalement circonscrite dans la petite ville texane de Vandergriff, et que le roman suit de 1968 à 2013. Dans la famille Turner, il y a Deborah, la grand mère, qui vit dans une maison médicalisée en raison du trouble mental qu’elle a traîné toute sa vie. Il y a Harry, le père, qui depuis l’adolescence collectionne les pulps et se passionne pour les écrits de Lovecraft. Il y a Margaret qui, au gendre parfait Pierce, préféra le sans-le-sous Harry qu’elle épousa à l’été 1982. Ils eurent trois enfants. La rebelle Sydney, la troublée Eunice et le petit dernier, Noah, qui se fait conteur de l’histoire familiale et narrateur du roman. Une cosmologie de monstres est leur histoire, faite de drames et de coups, de souffrances psychologiques et sociales, et de monstres. Et ils vont souffrir. A l’initiative d’Harry, pour une fête d’Halloween, la famille se lance dans la construction d’une maison hantée. Celle-ci va évoluer et devenir une attraction qui fera vivre et liera la famille pendant des années. Jusque-là, le surnaturel n’apparaît qu’au coin de l’œil, lorsqu’on détourne le regard, se cache dans les ombres des non-dits familiaux. Mais cela ne durera pas. En se focalisant principalement sur le personnage de Noah, Une cosmologie de monstres est aussi un livre sur le passage à l’âge adulte. Comme son père avant lui, et nombre de lecteurs des littératures de l’imaginaire, l’adolescence de Noah est accompagnée par les lectures des récits de Lovecraft. Mais Noah va se distinguer des autres membres de sa famille. Au lieu de reléguer les monstres au rang de visions nocturnes, de silhouettes aperçues rapidement la nuit derrière la fenêtre, il va les inviter à passer le seuil et entrer dans sa vie. Nous, lecteurs, sommes amenés à douter d’une réalité autre que celle que nous connaissons et qui parfois est bousculée par le désordre des affections mentales finalement tout à fait ordinaires. Ce n’est qu’une fois passée la moitié du livre que le monde bascule, que le doute n’est plus permis et que le roman entre de plain-pied dans le weird. C’est peut-être dans ce moment pivot que le livre de Shaun Hamill se fait le plus Lovecraftien. Pas d’horreur cosmique à l’horizon des cauchemars mais ce doute-là, cette petite bête noire qui vient ronger la perception du réel pour finalement se faire bouffer dans la gueule d’un monstre toutes dents dehors. Toutefois, je ne parlerai pas d’horreur à propos de ce roman, car d’horreur il n’y a pas vraiment sauf un poil de soupçon à la toute fin du livre (nous sommes très très loin des pages hallucinantes du magnifique et très horrifique Wounds de Nathan Ballingrud). Au détour d’une ruelle dans cette petite ville du Texas, on se laissera surprendre par le sense of wonder qui se manifeste dans la vision d’une cité non-euclidienne que je vous laisse la découvrir.

Conclusion lapidaire

Alors, c’est quoi Une cosmologie de monstres ? Une cosmologie de monstres est l’histoire d’une famille américaine qui glisse lentement hors de l’Amérique, hors du monde, hors du réel et qui rejoint les monstres. C’est un surprenant premier roman, travaillé et finement construit, qui s’apprécie pleinement une fois passée sa première moitié et ne fait que grandir au-delà. C’est un faux-semblant qui évoque Lovecraft pour s’y soustraire. Sa réussite tient à ses personnages, à la famille Turner à laquelle Shaun Hamill arrive habilement à nous attacher, suffisamment pour qu’on subisse leurs peines. Puissante est la plume d’Hamill et c’est un auteur que nous suivrons.

Cela étant dit, je me dois de faire la comparaison avec American Elsewhere de Robert Jackson Bennett car ces deux romans publiés chez Albin Michel Imaginaire labourent les mêmes terres, quand bien même le soc n’est pas du même métal et les sillons ne suivent pas la même courbe. Au final, le ressenti prévaut, et si j’ai beaucoup apprécié la lecture du roman de Shaun Hamill, je n’ai pas retrouvé la fébrilité joyeuse qui m’a parcouru à chaque page de celui de Robert Jackson Bennett. I’m a sucker for tentacles!


D’autres avis de lecteurs : sur la VO, celles de Gromovar et Apophis, et sur la VF, celles de Au pays des Cave trolls, Les lectures de Xapur, Un papillon dans la Lune, Nebal, Les chroniques du chroniqueur, Chut… maman lit!, L’Albedo, Symphonie, l’Imaginarium électrique, Sometimes a book, Mondes de poche,


Titre : Une cosmologie de monstres
Auteur : Shaun Hamill
Traduction : Benoit Domis
Publication : 2 Octobre 2019 chez Albin Michel Imaginaire
Nombre de pages : 416
Support : ebook et papier


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