Aurora – Kim Stanley Robinson

aurora

Kim Stanley Robinson est l’un des auteurs phares de la hard-SF. Contrairement à une grande partie de ses collègues officiant dans ce sous-genre de la science-fiction, il n’est pas de formation scientifique mais littéraire. Pour autant, la rigueur de son approche scientifique surpasse allègrement celle de bon nombre d’autres auteurs du domaine.  Son œuvre la plus connue est la trilogie de Mars (Mars la rouge, Mars la verte et Mars la bleue) publiée originellement entre 1992 et 1996 et traduite chez Les Presses de la cité. KSR y décrivait en détails la terraformation de Mars sur deux siècles, en insistant notamment sur l’aspect sociologique et politique de l’aventure.  Du point de vue purement scientifique, la Trilogie martienne constitue le summum de ce qui a été écrit en matière de terraformation et influence de nombreux débats sur l’exploration de la planète rouge.

Aurora a été publié en 2015 puis traduit et publié en français chez Bragelonne en Août 2019. Ce roman réserve de nombreuses surprises et semble s’inscrire en opposition à la trilogie qui a fait la célébrité de l’auteur. Si la terraformation de Mars ne se faisait pas sans problèmes, elle s’inscrivait dans l’horizon des possibles, ouvrant même à l’humanité les portes d’une exploration spatiale plus ambitieuse encore. Aurora vient en quelque sorte refermer ces portes.

De la possibilité d’une arche

En 2545 est lancée, depuis l’orbite de Saturne, une arche générationnelle à destination de Tau Ceti, située à 11,9 années-lumière de la Terre, dans le but de fonder une colonie humaine sur l’une des planètes du système.  C’est le grand rêve de l’expansion humaine dans l’espace qui se réalise.  Cent cinquante-neuf années et sept générations plus tard, alors qu’elle voyage à 10% de la vitesse de la lumière, l’arche entame une décélération de vingt ans. À bord, vivent 2122 personnes qui n’ont jamais connu la Terre et qui n’ont pas choisi de vivre ce rêve. Elles sont nées dedans. Le vaisseau, qui est aussi leur monde, leur maison, et leur prison,  est constitué de deux anneaux attachés autour d’une colonne centrale. Chaque anneau est lui-même constitué de douze biodômes dans lesquels sont reproduits différents climats terrestres, des plaines froides à la forêt amazonienne.

Le premier chapitre nous présente Freya, une adolescente dont le développement intellectuel, un peu tardif, inquiète sa mère Devi. Freya semble un peu lente dans certains domaines. Freya n’est toutefois pas la seule inquiétude de Devi. Celle-ci est ingénieure en chef du vaisseau et à ce titre vit en état d’alerte perpétuelle face au vieillissement de l’arche et aux problèmes de l’insularité.  Le système dans son ensemble est au bord de la rupture. Malgré le perpétuel recyclage de chaque atome à bord du vaisseau, l’équilibre biologique des dômes est menacé. Les bactéries évoluent plus rapidement que les organismes complexes, plantes et mammifères, et dans ce monde miniature la taille des populations permettant le brassage et la coévolution n’est pas suffisante. Les récoltes sont toujours moins bonnes. Chaque nouvelle génération d’enfants semble moins performante que la précédente, faisant craindre une régression évolutive. Freya est en âge de quitter le cocon familial et part faire le tour des biodômes pour faire son apprentissage d’adulte. Elle va faire la constatation de la fragilité des écosystèmes. KSR évalue en détail le fonctionnement des équilibres et questionne la survie à long terme de tels systèmes contenus dans des espaces limités en-dessous d’une masse critique.

De la possibilité d’une conscience

Dès le second chapitre, KSR confie la parole à l’intelligence artificielle, un ordinateur quantique, qui gère le vaisseau. Ce qui peut sembler au départ un artifice narratif qui permet d’expliquer en détail le fonctionnement de l’arche et les faits et gestes des humains qui l’habitent, se révèle rapidement être une très habile mise en abîme. C’est Devi qui demande au vaisseau de faire le récit des événements qui vont s’y dérouler dès lors que la destination finale du voyage est en vue. Or le concept purement humain de récit est totalement inconnu de l’IA. Elle va devoir apprendre le langage au-delà de la forme, plonger dans les subtilités de la linguistique, comprendre la différence entre signifiant et signifié, user de métaphores et d’analogies pour la construction d’un discours narratif, et prendre des décisions.  J’écris donc je suis, déclarera-t-elle. KSR questionne la fonction du langage et la construction du récit en regard de l’identité et de la conscience de soi, mais aussi de la conscience d’autrui. En construisant le récit, l’IA va s’élever à la conscience. Et bien évidemment, cela va lui permettre de décider et d’agir au moment où cela deviendra nécessaire à la survie de l’arche et de ses occupants.

De la possibilité d’une planète

Lorsque le vaisseau arrive dans le système Tau Ceti, lorsqu’une première équipe va poser le pied sur une lune habitable, nommée Aurora, leur Terre promise, tout va aller de Charybde en Scylla. Alors que KSR montrait dans le cas de l’arche à quel point les équilibres sont fragiles dans des écosystèmes restreints, il va pousser plus loin la question sur Aurora. L’écosystème d’une planète étrangère peut-il être adapté à l’humain ?

Comme à l’accoutumée chez KSR, les thématiques abordées dans Aurora sont nombreuses et vastes. Aurora est un roman scientifique. KSR y parle de physique, d’astronomie, de biologie, de génétique, d’écologie.  L’argumentation scientifique élaborée dans ce livre est de haut niveau. Les idées fusent et KSR se montre extrêmement original à plus d’une occasion. J’y ai par exemple trouvé en  trois lignes le meilleur résumé du fonctionnement d’un ordinateur quantique qu’il m’ait été donné de lire.  Le sixième chapitre, qui décrit une navigation interplanétaire, est tout simplement époustouflant.

Aurora est aussi un roman politique et social, comme l’était la Trilogie de Mars. L’évolution de l’âme humaine est donc une des préoccupations principales du récit.  Pour les humains de l’arche, il va falloir prendre des décisions cruciales pour leur avenir et l’unité de la communauté n’y survivra pas. La question du système politique, et de la représentation démocratique se posera lorsqu’il faudra faire face aux poussées de violence qui enflamment épisodiquement les sociétés. La question qui se posera finalement est celle de la poursuite du rêve ou de son abandon, et de son coût.

De la possibilité d’une Terre

Je ne peux aller plus loin sans dévoiler trop de l’histoire.  Je dirai donc simplement que KSR se montre très pessimiste, et réaliste dirais-je, sur l’avenir de l’humanité dans l’espace. La vie est complexe est l’entropie est une réalité.  La fin du récit risque de déconcerter certains lecteurs car si le sense of wonder atteint des sommets dans ce roman et notamment dans le chapitre 6, le dernier chapitre est beaucoup plus… terre à terre. En 2900, la planète est marquée par plusieurs siècles d’infortune climatique. KSR nous dit qu’il est temps de terraformer la Terre.

En conclusion

Aurora est un roman passionnant qui rappelle par certains aspects le roman Non-Stop de Brian W. Aldiss (1958). Il contient quelques longueurs, le développement des personnages laisse à désirer, mais le rythme du récit est formidablement bien géré. On y avance de surprises en surprises. Les nombreuses thématiques abordées sont exploitées en profondeur et reposent sur une argumentation scientifique très solide.  On y retrouve des questions communes avec la Trilogie de Mars qui a rendu son auteur célèbre. Pourtant, Aurora en prend le contre-pied. L’auteur se montre volontiers pessimiste, que ce soit sur l’homme ou la possibilité de l’expansion de l’humanité au-delà de la surface terrestre.  Nous sommes loin des fantasmes qui animent volontiers la science-fiction. C’est un roman dense, bourré d’idées remarquables. Et pourtant, il porte au final un message d’une simplicité confondante : protégez la planète, vous n’en avez qu’une.


D’autres avis de lecteurs : Gromovar, Les lectures du Maki, le post-it SFFFCharybde 27, Xenoswarm, Lorhkan, La lectrice hérétique, Apophis,


Titre : Aurora
Auteur : Kim Stanley Robinson
Traduction : Florence Dolisi
Publication : 14 Août 2019 chez Bragelonne
Nombre de pages : 480
Support : ebbok et papier


27 réflexions sur “Aurora – Kim Stanley Robinson

  1. Un roman très riche, en effet (et où spoiler est, hélas, facile). Tellement que c’est la seule fois où je ne suis pas arrivé à tenir mon quota de signes pour Bifrost. Une très bonne porte d’entrée pour découvrir KSR, à mon sens (même si tout le reste est très différent).

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    1. Ouaip. Moi je l’ai trouvé super intéressant ce bouquin. Non seulement au sein de l’oeuvre de l’auteur, mais parmi tout ce qui sort et propose toujours la même vision un peu trop béate de l’exploration spatiale. On a le droit de rêver va-t’on me dire. Oui, mais il y a aussi une dure réalité.

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  2. J avais adoré la trilogie de Mars de cet auteur avant même de savoir ce qu’était la hard sf. J’aimais son côté « ça marche et en même temps ça ne marche pas » En voyant ta chronique je lirai sûrement Aurora (en revanche j’ai lu ton intro et ta conclu pour ne pas me spoiler ☺ )

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    1. J’ai essayé de ne pas trop spoiler, mais les questions posées par le roman s’inscrivent dans la trame du récit et inévitablement les aborder dans le cadre d’une chronique dévoile un minimum du contenu. Bonne lecture !

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  3. J’ai dévoré cette chronique et l’extrait disponible sur Amazon qui va jusqu’à environ une page après le début du chap.2.
    Résultat : je cours en librairie ce midi pour avoir la suite. Merci pour cette chronique alléchante !

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  4. Je m’y retrouve totalement dans ta critique, personnellement j’ai aimé la fin,
    Le début est quand même costaud, instructif néanmoins, il m’a manqué un peu de pep’s, de folie, malgré cette sacrée odyssée ! C’est à lire

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