Un classique : Vous les zombies – Robert A. Heinlein

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Et soudain me prit l’envie de vous parler de paradoxe temporel. Je vous aurais bien parlé d’une sortie récente, comme, allez, Terminus de Tom Sweterlitsch paru chez Albin Michel Imaginaire le 24 Avril 2019. Si, dans ma chronique sur ce roman, j’ai évité de divulguer des informations de nature à gâcher le plaisir de la lecture, il serait pourtant intéressant de tenter une analyse de sa structure et des surprises qu’elle réserve. Mais il est trop tôt et il parait que certains ne l’ont pas encore lu. (Vous attendez quoi ?) Je vais donc évoquer un texte plus ancien et devenu un classique de la thématique, la nouvelle Vous les zombies de Robert A. Heinlein parue en 1959. A 60 ans, il doit y avoir prescription en matière de spoiler. Vous êtes prévenus, je vais dévoiler certains éléments majeurs de l’histoire, mais sachez que la page Wikipédia en dévoile plus encore.

J’en avais déjà parlé à l’occasion du fort peu novateur Permafrost d’Alastair Reynolds, plus de 1000 romans de science fiction se sont intéressés au voyage dans le temps depuis La machine à explorer le temps de H.G. Wells (1895). L’originalité n’est donc pas, par la force du nombre, le caractère marquant de la majorité des livres sur le sujet. Quelques auteurs, heureusement, ont réussi à proposer des textes remarquables en poussant les curseurs plus loin que leurs collègues. Le dernier en date est Tom Sweterlitsch avec Terminus. Charles Stross a notamment proposé de la démesure dans le très bon Palimpseste, roman qui étonnamment n’a déclenché qu’un enthousiasme très modéré chez ses lecteurs. Se jouant des interdits en matière de paradoxe temporel, Charles Stross y fait du meurtre de l’aïeul un indispensable préliminaire. Il s’agit pour les voyageurs du temps d’une manière de se soustraire aux lignes temporelles, de ne plus y exister que comme un paradoxe.

Mais en matière de paradoxe, la palme revient à Robert A. Heinlein avec Vous les zombies. L’assassinat de l’aïeul représente une modification négative du passé, un effacement. En 1959, Heinlein se pose le problème inverse : comment un paradoxe peut devenir acte de création permettant de s’inscrire dans le temps, d’exister. Et pour se faire, Heinlein va pousser la logique du paradoxe jusqu’au bout en invoquant des boucles de causalité imbriquées dans lesquelles la poule pond l’œuf qui devient la poule qui pond l’œuf. T’en veux du paradoxe temporel ?

Heinlein avait déjà utilisé des boucles temporelles imbriquées dans la nouvelle By His Bootstraps (Un self made man) publié en 1941 dans la revue Astounding Stories. Mais dans Vous les zombies il pousse le paradoxe à son paroxysme. La nouvelle raconte en plusieurs sauts temporels en 1945, 1963, 1964, 1970, 1985, et 1993 (mais pas 1972, surtout pas 1972 !) comment un voyageur dans le temps va se créer lui-même, devenir lui, son enfant, son père et même sa mère, en manipulant les événements et en se manipulant lui-même. Il n’y a donc pas destruction du passé mais construction de celui-ci. Tout le talent d’Heinlein s’exprime dans la conception impeccable de la ligne scénaristique, de sauts en sauts, pour assembler ces boucles les unes dans les autres. La seule hypothèse est la possibilité du voyage dans le temps. Tout le reste en découle, jusqu’à la conclusion inévitable, la mélancolie qui prend le personnage lorsqu’il se dit qu’il est seul au monde, que lui seul existe, et que les autres ne sont que des zombies. Vous les zombies est un texte remarquable du maître Heinlein, texte novateur en son temps, devenu classique, il n’est toujours pas surpassé en termes de paradoxe. Il faut dire qu’il est difficile de faire aussi tordu avec tant de simplicité.

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All you zombies est initialement paru dans The Magazine of Fantasy & Science Fiction n°94, en mars 1959. Il a connu plusieurs publications en français depuis 1962 (sous le titre La mère célibataire) chez les Editions OPTA, puis avec le titre Vous les zombies dans différentes anthologies. Pour ma part, je l’ai lu la première fois dans Histoires de voyages dans le temps, La Grande Anthologie de la science-fiction, Le Livre de poche n° 3772 (1987) sous la traduction de Michel Deutsch. Il est possible de le relire, ce que j’ai fait, dans le numéro 57 de la revue Bifrost consacré à l’auteur et sous une nouvelle traduction d’Olivier Rey. Cette traduction est à mon avis bien meilleure que la précédente qui fait une erreur dans les dernières lignes du texte.

Le texte original est : « So I crawled into bed and whistled out the light. You aren’t really there at all. There isn’t anybody but me – Jane – here alone in the dark. I miss you dreadfully! »

Michel Deutsch écrit : « Je me suis glissé dans le lit. J’ai éteint. Tu n’es pas vraiment là. Il n’y a personne d’autre que moi, Jane, toute seule dans le noir. Tu me manques terriblement. « 

Olivier Rey corrige : « Je me suis glissé dans le lit. J’ai éteint la lumière. Vous n’existez pas vraiment. Il n’y a personne au monde, excepté moi – Jane – seule dans le noir. Vous me manquez terriblement.  » Ce qui est sensiblement différent, vous en conviendrez.

A noter que le film Prédestination (2013) de Michael Spierig & Peter Spierig avec Ethan Hawke, Noah Taylor, et Sarah Snook est inspiré de la nouvelle de Robert A. Heinlein.


11 réflexions sur “Un classique : Vous les zombies – Robert A. Heinlein

  1. Oui, un texte fabuleux (et le film est très bien aussi). Concernant Palimpseste, je suis comme toi, je n’ai jamais compris pourquoi il avait été aussi mal reçu en France (tiens, puisque le Belial’ commence à sortir des rééditions en UHL avec le Marusek, peut-être que… Parce que le texte de Stross était du format UHL avant l’heure, en plus). Parce que des titres de cette ambition là, il n’en sort tout de même pas tous les jours.

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  2. @ « A noter que le film Prédestination (2013) de Michael Spierig & Peter Spierig avec Ethan Hawke, Noah Taylor, et Sarah Snook est inspiré de la nouvelle de Robert A. Heinlein.», lequel est tout à fait recommandable
    [https://artemusdada.blogspot.com/2015/07/predestination-michael-peter-spierig.html].
    [-_ô]

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  3. C’est génial parce que j’ai lu cette nouvelle qui m’a parait-il (selon mon propre blog) retourné le cerveau et j’ai tout oublié depuis. Remarque c’est bien, je peux la relire et retrouver le plaisir de la découverte xD

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  4. Quoi! Un roman que j’avais complétement oublié!!!! Rhooooo. faut que je le trouve!!! ET j’adore les paradoxes temporels quand c’est bien fichu. Pas la machine à explorer le temps, mais terminus était excellent et j’avais aussi vraiment adoré Suprématie qui joue aussi sur le principe des boucles temporelles.

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