Une interview : Audrey Pleynet, autrice de l’imaginaire

Audrey

Il y a quelque temps, assis sur l’épaule d’Orion, je parlais de la nouvelle Citoyen+ d’Audrey Pleynet qui interroge notre rapport aux réseaux sociaux, notre dépendance quasi-pavlovienne à la récompense, et comment cela peut-être utilisé contre nous avec notre consentement tacite. Peu après, la sortie d’un recueil de nouvelles autoédité, Ellipses, m’avait permis de me plonger un peu plus dans l’imaginaire de l’autrice. C’est au salon du livre à Paris que j’ai eu l’occasion et le plaisir de la rencontrer et de découvrir derrière ces écrits une personne passionnée, enthousiaste, vive et vivante. De là est née l’envie de lui donner la parole sur ce blog pour vous faire rencontrer Audrey Pleynet.

L’épaule d’Orion : Bonjour Audrey, qui es-tu ?

Audrey Pleynet : Bonjour, je suis une romancière et novelliste de l’imaginaire, plus particulièrement en anticipation sociétale. Mon roman Noosphère et mon recueil de nouvelles Ellipses sont autoédités et j’ai plusieurs nouvelles dans des anthologies un peu partout. J’écris, je parle (sûrement plus que je n’écris), je me shoote au café et j’habite en région parisienne.

L’EdO : Confidence aux lecteurs : ce n’est pas la première fois que nous discutons, puisque j’ai eu le plaisir de ravager le stock de bonbecs du Bélial’ au salon du livre en ta compagnie.  Tu m’as dit comment tu étais venue à l’écriture. Pourrais-tu le raconter aux lecteurs du blog ?

noosphère

A.P. : Comme beaucoup d’auteurs, j’écris depuis longtemps. Mais je me suis vraiment lancée quand j’étais en mission humanitaire à l’étranger. Pas de télé, peu de livres, Netflix n’existait pas encore et de toutes façons j’avais un accès à internet lent et limité et parfois de longues périodes sans électricité… Les seules choses qu’on trouve facilement sur toute la planète ce sont des stylos et du papier (et des bougies), et sans distractions annexes je me suis rendue compte que j’avais beaucoup de temps pour écrire…

L’EdO : De toi, j’ai lu et apprécié la nouvelle Citoyen+, que tu as distribuée gratuitement sur Amazon, puis le recueil Ellipses qui regroupe huit nouvelles dont Citoyen+. Peux-tu nous raconter la genèse de ce recueil ?

A.P. : J’ai écrit Citoyen+, qui parle de la façon dont le gouvernement pourrait utiliser notre addiction aux réseaux sociaux, suite à un week-end à Londres. Je proposais à une amie de prendre le métro mais elle m’a dit qu’il valait mieux qu’elle marche pour être récompensée par son assurance santé qui lui avait offert un bracelet. Je lui ai demandé si elle avait la version qui prenait sa glycémie tous les matins et lui donnait des points si elle était basse : elle m’a demandé où elle pouvait se le procurer… ça a été la base de ma nouvelle Citoyen+.

De plus, après la sortie de mon premier roman, j’avais du mal à me lancer dans un nouveau projet. Donc pour repousser l’angoisse de la page blanche, j’ai commencé à écrire des nouvelles. Le but était aussi d’aiguiser ma plume. C’est un exercice qui oblige à être concise, précise, directe, tout en restant poétique. Ça permet aussi de tester plusieurs sujets, plusieurs formes (monologue, récit au passé à la 1ère personne, ellipses narratives, niveau de langue soutenu ou quasiment oral). C’est un vrai laboratoire d’expérimentation. Pour m’imposer une direction et des contraintes, j’ai commencé à répondre à des concours de nouvelles. Plusieurs de mes textes ont gagné et sont publiés. Mais comme j’avais les autres en stock, je les ai réunis dans ce recueil (avec Citoyen+ que j’avais déjà écrit avant et diffusé gratuitement). J’ai voulu appeler mon recueil « les nouvelles qui n’ont pas gagné leurs concours mais qui sont bien quand même » mais on m’a dit que ce n’était pas très vendeur et je l’ai appelé Ellipses. (Ironiquement, mes 2 nouvelles qui sont uniquement construites sur des ellipses narratives sont publiées en maison d’édition…) L’année prochaine, j’aurai peut-être un autre recueil intitulé « Les nouvelles publiées pour lesquelles j’ai récupéré les droits Youpi » 😊

L’EdO : Les textes que l’on peut lire de toi à ce jour sont des auto-éditions, ce qui oblige à tout faire soi-même, de la relecture à la maquette. Comment organises-tu ce travail ? Tu reçois de l’aide ?

A.P. : L’auto-édition oblige effectivement à tout organiser soi-même, mais heureusement on peut décider jusqu’à quel point on fait les choses seule. Le plus difficile est évidement le travail d’écriture. Il faut une auto-discipline de moine shaolin pour se forcer à tenir le rythme d’écriture puis de relecture qu’on s’impose, et surtout à accepter à un moment de lâcher le manuscrit. Ensuite il faut bien s’entourer de beta-lecteurs à l’œil aiguisé et à la langue durement cruelle, puis réécrire, et réécrire encore. Pour mes couvertures, je passe par des amies qui ont leur boite de communication, (il s’agit de Youbold pour Noosphère et Citoyen+ et de Shealynn Royan pour Ellipses) car l’impact de la couverture est fondamental dans notre société régie par l’image et les lecteurs se font une impression d’un livre en 3 secondes. Mon cauchemar reste la maquette. J’ai fait toute seule celles de Noosphère et de Citoyen+ et j’ai cru mourir. Je fermais les yeux à chaque modification en priant pour que toute la mise en page ne foute pas le camp. Pour l’anecdote, elle a foutu le camp… deux fois… et j’ai dû tout recommencer. Pour Ellipses, je suis passée par un prestataire (Ermin) qui m’a épargné un paquet de cheveux blancs.

La promotion est aussi ce qui prend une grosse partie du temps de l’auteur auto-édité : publier sur les réseaux, démarcher les librairies, faire des concours sur sa page, s’inscrire à des salons de dédicaces, contacter des blogueurs pour des services presse. Les auto-édités se posent tous la même question « est-ce qu’il vaut mieux que je fasse la promotion de mon roman déjà sorti, au risque de m’épuiser, ou bien vaut-il mieux que j’utilise ces heures-là pour écrire un roman que personne ne lira faute de promotion ? » C’est un équilibre à trouver.

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L’EdO : Il me semble que tu as eu récemment plusieurs nouvelles qui ont été acceptées dans des recueils à paraître. Peux-tu nous en dire plus ?

A.P. : Vous pouvez retrouver ma nouvelle « Fille de l’espace » dans l’anthologie Les Migrations du futur aux éditions Arkuiris. Elle est dirigée par Patrice Quélard et la couverture est réalisée par Wojtek Siudmak ( !!!)

Ma nouvelle Quelques gouttes de thé est parue dans l’anthologie Revenir de l’avenir des éditions du Grimoire et concourt au Prix Mille Saisons (la nouvelle de l’anthologie qui reçoit le plus de votes a un contrat d’édition pour devenir un roman).

Je suis aussi une des trois lauréates du concours de nouvelles du festival Imajn’ère de Angers (qui a eu lieu en juin) et ma nouvelle La tenancière est parue dans l’anthologie Frontières.

J’avais gagné par équipe le match d’écriture de Présences d’Esprits aux Imaginales 2018 et ma nouvelle Beauté (sur le thème Machine Addict, car, oui, je reste dans mes habitudes) est parue dans le AOC Hiver 2019. Une version revue et réécrite dans le sous-genre steampunk sortira dans l’anthologie de la toute nouvelle maison d’édition Oneiroi courant 2019.

L’EdO : Lors de notre rencontre, nous avions discuté des genres et sous genres de l’imaginaire et tu évoquais la question du renouvellement plus ou moins difficile suivant le genre en question. Tu écris de la SF. Pourquoi avoir fait le choix de l’imaginaire tout d’abord, puis de la SF en particulier ? Tu n’aimes pas la fantasy ?

A.P. : J’écris en imaginaire parce que c’est ce que je lis le plus et que c’est un terrain de jeu formidable. Je me souviens d’un des premiers romans d’anticipation pour adulte qu’on m’a donné à lire (Malevil de Robert Merle, quand j’avais 10 ans, PS : c’était une très mauvaise idée). Quand j’ai demandé de quoi ça parlait, mon père m’a répondu « de notre société, de ce qu’elle peut devenir, de comment elle peut se reconstruire ». Et ça a scellé ma vision de l’anticipation ou de la science-fiction. Je lis peu de fantasy, faute d’avoir été conseillée probablement. Ce sont des lectures distrayantes, qui permettent de s’évader de notre monde, de s’en échapper. L’anticipation nous met au contraire le nez en plein dedans, nous oblige à nous regarder en face, à nous interroger sur nous-même. Pas d’ailleurs exotique qui ne prête pas à conséquence, juste notre responsabilité face à l’avenir et à notre monde. Face au seul qu’on ait.

Le renouvellement des genres et des sous-genres est aussi une discussion que j’ai souvent avec mes collègues auteurs. Mon premier roman de fantasy était Bilbo le Hobbit puis le Seigneur des Anneaux. Ayant commencé par des livres si fondateurs peut expliquer pourquoi je n’ai pas poursuivi plus avant. Certaines œuvres sont tellement centrales et cultes qu’elles arrivent presque à verrouiller un thème pour les autres auteurs. On se pose tous la question, une fois dans notre vie, de savoir si on oserait écrire une histoire autour d’une troupe composée d’elfes, de nains, de chevaliers et de mages blancs qui partiraient à la recherche d’un objet magique pour sauver un royaume extra-ordinaire, ou écrire un space opera où de grandes familles s’affronteraient pour le contrôle d’une substance aux propriétés mystiques. Je vois certains amis auteurs s’engager là-dedans en les saluant de loin. Je n’ose pas les suivre. Pas tout de suite en tout cas.

Ce qui m’amène aux réflexions sur l’inspiration, que nous avions à Livres Paris, (tout en pestant sur l’épuisement des bonbecs du Bélial’). On dit parfois à la lecture d’un texte que l’auteur a été inspiré par un tel ou un tel. Et c’est peut-être vrai. Mais parfois au contraire je pense que l’auteur a eu des influences de quelqu’un qui a eu des influence de quelqu’un qui a eu des influences de quelqu’un qui a eu des influences de cet auteur ; et que donc l’auteur d’origine a impacté le genre comme un tremblement de terre si puissant que son œuvre transcende son média et crée encore des répliques, même des décennies plus tard. Les œuvres de l’imaginaire sont ainsi faites qu’elles s’enrichissent mutuellement, se répondent, s’interrogent, s’influencent continuellement. Je trouve ça fascinant, quand nous n’arrivons plus à citer les produits artistiques qui nous ont influencés, de réaliser que c’est nous en réalité qui sommes un produit de cette culture.

L’EdO : As-tu des modèles ou des inspirations en SF ou en littérature blanche ?

A.P.En littérature blanche, je citerai Zola car il peut décrire le pire du genre humain avec la plume la plus sublime. Ses personnages sont fous et terriblement vivants à la fois. Je reviens souvent vers Racine pour la musicalité de ses textes et son pouvoir d’évocation et Corneille pour ses héroïnes tragiques.

En SF, j’ai été biberonné à Robert Merle et Barjavel comme beaucoup, puis avec Asimov et Bordage. Il y a des auteurs dont je n’ai lu qu’un titre ou deux mais qui m’ont profondément touchée comme Ray Bradbury et ce qu’il dénonçait à l’époque et qui sonne amèrement vrai aujourd’hui, Arthur C. Clark et comment il décrit le désespoir dans Les enfants d’Icare, Elizabeth Vonarburg qui arrive à me rendre nostalgique du passé du futur…

Je puise aussi des inspirations ailleurs : par exemple dans le manga Gunnm qui ne me quitte pas depuis 20 ans ou dans des nanars comme le film Aeonflux ou Planète Hurlante, vu à 2h du mat quand j’avais 12 ans (encore une fois c’était une mauvaise idée), un huis clos angoissant et une chute qui me file encore des frissons.

L’Edo : Tu m’as dit que ton intention dans  tes écrits de SF était d’illustrer ou d‘appliquer des idées philosophiques.  Quel est le moteur de ton écriture ?

A.P. : Dénoncer, faire réfléchir, verbaliser ce qu’on sent de façon intime mais muette : les tensions qui agitent notre société, l’angoisse de ce qu’elle peut devenir, la réalisation que personne ne peut vraiment la contrôler.

Dès qu’on commence à aborder tout ça, on tombe sur l’éthique puis sur la philosophie. Et plus que la vulgarisation scientifique, j’aime la vulgarisation philosophique, l’anticipation est un formidable terrain de jeu pour ça.

L’EdO : Tu as travaillé dans le domaine de l’humanitaire. Cela influence t’il les histoires que tu souhaites raconter et comment ?

A.P. : Ah ah, c’est un peu difficile à dire. Je pense que ça m’a montré l’étendue de l’existence humaine : de la plus désespérée à la plus extatique, de la plus cruelle à la plus bienveillante. Les humains ont un spectre d’action, d’horreur et de cœur infini.

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L’EdO : Un trait marquant dans les nouvelles qui constituent le recueil Ellipses est ce goût que tu sembles avoir pour, comme je le disais dans ma chronique, gifler ton lecteur, par des chutes cruelles ou assez sombres. Pourtant il ressort de tes textes un sentiment plutôt optimiste sur l’avenir.  Écrire dans le domaine de l’anticipation, et donc écrire l’avenir, c’est déjà considérer que l’avenir est possible, quel qu’il soit. Tu es une autrice pessimiste ou optimiste ?

A.P. : Oula ! Je dirai que je suis pessimiste pour la société et optimiste pour l’individu. C’est pour ça que la prise de conscience individuelle est importante : elle est le seul rempart face à la folie de masse. Mes chutes tiennent souvent à mes personnages qui « réalisent » le problème/leurs erreurs/ les errements de la société. En soit c’est positif, mais cruel, car ils sont seuls à prendre conscience de ce qu’il se passe et ça ne veut pas dire qu’ils vont pouvoir changer la donne. Je suis pessimiste dans le sens où je ne sais pas quelle taille critique (et quel niveau d’unisson) doit atteindre la somme de ces volontés pour pouvoir influer vraiment sur les tendances sociétales terrifiantes qu’on pressent aujourd’hui. Nous n’y sommes pas encore en tout cas.

L’EdO : Pour finir, peux-tu nous parler de tes projets à venir ? Travailles-tu sur de nouveaux textes ? Comptes-tu participer à des salons cette année, des dédicaces ? Où tes lecteurs vont-ils pouvoir te rencontrer  ?

A.P. : J’ai un manuscrit de SF militaire dans les tiroirs qui attend son heure. J’avais juré de ralentir sur les nouvelles mais je sens que je vais craquer et je dois commencer mon prochain roman (qui sera du post-apo) qui mûrit en moi depuis tellement longtemps qu’il va soit exploser soit se flétrir si je ne m’y attaque pas bientôt.

Sinon je serai en dédicace au festival des mondes imaginaires Scorfel à Lannion le 19 et 20 octobre 2019 et au Salon fantastique de Paris le 31 octobre et 1 et 2 novembre 2019.

L’EdO : Merci Audrey d’avoir pris le temps de répondre à cette invitation, et à bientôt sur un salon ou dans l’imaginaire.

Vous pouvez retrouver l’actu d’Audrey Pleynet sur son blog, c’est ici.


11 réflexions sur “Une interview : Audrey Pleynet, autrice de l’imaginaire

  1. Mon bon Feyd, j’espère que tu as profité du long moment qu’Audrey et toi avez passé à piller les stocks d’Haribo du pauvre Erwann pour faire du lobbying afin que notre autrice préférée soit publiée par nos amis de Saint-Mammès. Sinon, je te félicite pour ton interview, qui ne fait que confirmer, s’il en était besoin, que l’autrice est une femme intéressante et un écrivain à suivre.

    (il faut que je libère quelques jours dans le programme pour lire Ellipses. Ce qui ne va pas être facile vu l’épouvantable concentration en nouveautés ces temps-ci).

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