Replis – Emmanuel Quentin

replis

D’Emmanuel Quentin, j’avais lu récemment la nouvelle Céder la place, publiée par Les Éditions Mille Cent Quinze. J’avais trouvé cette nouvelle de science-fiction horrifique très percutante car en une vingtaine de pages elle réussissait à être immersive et à proposer des changements de directions inattendus qui ne laissaient jamais le lecteur s’installer dans une interprétation trop facile. Il y a quelques jours, l’auteur a publié Replis, un roman de 264 pages, chez Mü éditions, l’éditeur qui aime les couvertures jaunes.

Avec ce roman, Emmanuel Quentin entraîne cette fois-ci le lecteur dans un futur proche à travers une dystopie aux relents post-apocalyptiques. La Guerre des Frontières a eu lieu et a abouti à une balkanisation extrême de l’Europe et un repli des nations derrière leurs frontières. Dérèglement climatique et fonte du permafrost ont fait resurgir du passé un cauchemar bactériologique qui a anéanti les terres arables et transformé les campagnes en terrain vague, les Terres Brûlées, où plus rien ne pousse, plus rien ne vit, provoquant le repli des populations vers les villes. Deuxième terme d’une balkanisation locale qui est devenue économique et politique. Les riches se terrent dans des villes fortifiées, cernées de banlieues bidonvilles à l’air devenu irrespirable dans lesquelles une population pauvre survit ou meurt, indifféremment. Dans ces conditions le repli démocratique est inévitable et les gouvernements autocratiques ont fleuri sur le terreau du désespoir. La surveillance est généralisée et le mensonge institutionnalisé. Les images sont trafiquées, l’information est construite et la communication officielle est propagande. Face à l’impossibilité d’un avenir, le seul espoir pour la classe dirigeante, les nantis, les riches des villes, est un repli vers le rêve d’immortalité. Celle-ci est devenue imaginable grâce à l’émergence d’une technologie permettant l’Assimilation, c’est-à-dire l’accueil de la conscience d’un parent dans l’esprit d’un descendant volontaire, seule transition possible sous peine de rejet. La notion de volontariat pouvant être relative dans une société autoritaire.

C’est la constatation à laquelle Daniel Sagnes va être forcé. Daniel est le narrateur cynique de son histoire. Soldat de l’image, il travaille pour le ministère de la défense. Il visionne, coupe, monte, trafique, ment pour alimenter la propagande officielle. Il est même très doué pour cela. Jusqu’au jour où il est convoqué par les services de l’Assimilation qui lui proposent de recueillir la conscience de son père, être honni, absent, qu’il n’a quasiment pas connu et qui n’est autre que l’inventeur de l’Assimilation. Devant l’importance de cet homme pour l’autocratie qui se souhaite immortelle, Daniel saisit rapidement qu’ils ne lui laisseront pas le choix et que son seul recours est la fuite. Il va donc fuir. Aidé en cela par une proto-résistance qui voit dans cet acte de rébellion une aubaine, Daniel va parcourir d’abord la France puis l’Europe dévastée, espérant la mort du père avant d’être rattrapé.

Emmanuel Quentin construit un univers sombre, nous sommes dans une dystopie violente, qui révèle une complexité grandissante et dans lequel s’affronte le repli des uns dans les villes polluées sous une autocratie délétère et l’espoir de ceux qui, à l’extérieur, s’organisent pour survivre et rêver d’un avenir où la Terre serait sauvée. Le roman est dynamique et le rythme, enchaînant sans temps mort les scènes d’action, est élevé. L’histoire regorge d’idées qu’il aurait été très intéressant de développer, comme la vie du groupe à travers ce train qui traverse l’Europe d’Espagne en Russie, par exemple. Mais pour autant ce roman a moins bien fonctionné pour moi que la nouvelle lue précédemment. Car ce livre possède un défaut qui à mon avis déséquilibre sa construction. Tous les éléments du scénario pointent vers un dénouement et une révélation tonitruante qui malheureusement se fait sous la forme d’un vaste info dumping dans le dernier quart du roman, plutôt que dans un show don’t tell qui l’aurait beaucoup mieux servi. Je pense qu’il manque une bonne cinquantaine de pages à Replis, ce qui aurait pu permettre à Emmanuel Quentin de construire plus patiemment le dénouement plutôt que de tout lâcher aussi brutalement au travers des discussions entre personnages. Alors que la montée en puissance est très bien menée dans les 200 premières pages, la chute est trop rapidement livrée. De la même manière, le final réserve un twist absolument diabolique qui aurait mérité d’être construit avec plus de précaution en amont pour prendre l’ampleur qu’il méritait. C’est le genre de twist psychologique qui pousse à revenir en arrière pour tenter de déceler dans le roman les indices qu’on aurait manqués. Mais ces indices justement manquent, ou je ne les ai pas trouvés, ou peu.

En conclusion

Sous la forme d’une dystopie où les protagonistes s’affrontent dans une société partie en vrille, Replis est aussi un thriller psychologique sur le thème des replis sur soi, dans lequel le titre même du roman prend plusieurs sens, laissant au lecteur le loisir d’en découvrir toute la portée. Mais son effet est modéré par une construction qui repose trop à mon goût sur un déballage massif d’information et de clefs à l’histoire dans sa dernière partie. Et, bon sang, c’est dommage car le twist final a de quoi vriller l’estomac.


D’autres avis : Les lectures du Maki, Un papillon dans la Lune.


Titre : Replis
Auteur : Emmanuel Quentin
Éditeur : Mü (5 Juin 2019)
Nombre de pages : 264
Support : papier et ebook


6 réflexions sur “Replis – Emmanuel Quentin

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