Perihelion Summer – Greg Egan

perihelion

Le 10 avril dernier, la collaboration internationale Event Horizon Telescope révélait à l’humanité saisie de stupeur la première photographie d’un trou noir situé à quelque 55 millions d’années lumière. Ce 16 avril, Greg Egan révèle à l’humanité le court roman Perihelion Summer. Le rapport ? Taraxippus. Dans la mythologie grecque, Taraxippus (ou Taraxippos) était un fantôme qui effrayait les chevaux lors des cours hippiques. Dans la mythologie eganienne, Taraxippus devient un trou noir double, de faible masse, qui traverse le système solaire et, s’il n’entre pas en collision avec la Terre, passe suffisamment proche pour perturber son orbite autour du Soleil. Ce changement va avoir des conséquences climatiques immédiates et dramatiques pour la vie sur Terre. Si Greg Egan avait déjà invoqué dans certains de ses romans des événements de nature catastrophique (un incident cosmique dans Diaspora, une raréfaction des ressources dans Phoresis, un déplacement de la zone habitable dans Dichronauts), il se lance avec Perihelion Summer dans un genre nouveau sous sa plume : le roman apocalyptique. A sa manière.

L’auteur

Au risque de me répéter, et vous le savez si vous êtes déjà passé sur ce blog, je considère Greg Egan comme l’un des plus grands écrivains de science-fiction actuellement en activité. Il fait partie des quelques auteurs qui à partir des années 90 ont profondément renouvelé la branche hard du genre, c’est à dire cette branche qui s’appuie sur une approche scientifique rigoureuse pour imaginer un futur proche ou lointain mais toujours dans le cadre des connaissances actuelles. Greg Egan a rapidement acquis la réputation d’être un auteur difficile à lire, non seulement par la rigueur et le niveau de ses écrits, mais aussi par son style souvent jugé aride, tout du moins utilitaire. Dans ses romans ou nouvelles, Greg Egan a tendance à développer plus les aspects mathématiques de son sujet que la vie émotionnelle de ses personnages. Récemment, il a toutefois mis de l’eau dans son vin, et relâché la tension en s’intéressant à des sujets plus proches de la condition humaine, dans des textes plus faciles d’accès, comme par exemple Cérès et Vesta, Uncanny valley ou encore The discrete charm of the Turing machine.

La physique

Pour écrire Perihelion Summer, l’auteur dit avoir été inspiré par le passage du corps interstellaire Oumuamua dans le système solaire en octobre 2017. L’humanité découvrait alors, saisie de stupeur, que des objets se baladant dans le vide profond pouvait passer nous rendre visite. Le passage d’un trou noir double dans le système solaire n’est cependant  qu’un moyen utilisé dans le roman pour pouvoir induire une modification brutale des conditions climatiques sur Terre. Comme vous le savez, les corps célestes qui orbitent autour du soleil n’ont pas une orbite circulaire mais une orbite elliptique. Les deux points les plus extrêmes sur l’axe long de l’ellipse sont appelés apsides. Le point le plus éloigné, est l’aphélie. Le point le plus proche est le périhélie (perihelion en anglais). Sur Terre, le périhélie arrive au mois de Janvier, soit durant l’hiver pour l’hémisphère Nord et l’été pour l’hémisphère Sud. La Terre se trouve alors à 147 000 000 km du Soleil, soit 0,98 unité astronomique. A l’aphélie, en Juillet, elle se trouve à 152 000 000 km (1,02 ua). Soit une différence de 5 millions de km. Le passage de Taraxippus va changer cela.

L’apocalypse

Matthew Fleming est un jeune scientifique australien qui travaille avec trois amis sur une forme innovante d’aquaculture autosuffisante dans une ferme piscicole flottante, le Mandjet. Son projet est d’offrir à l’humanité des alternatives en cas de montée probable du niveau des océans suite au passage du trou noir. Deux ans après la première observation de Taraxippus, le calcul de sa trajectoire s’affine à mesure qu’on observe les effets de lentille gravitationnelle lorsqu’il passe devant une étoile. C’est ainsi qu’on découvre tout d’abord qu’il est double, puis qu’il va passer à 72 millions de km de la Terre. Suffisamment loin pour ne pas provoquer de tsunami qui dévasterait les régions côtières, mais suffisamment près pour modifier l’orbite planétaire et amorcer le cataclysme. En modifiant l’orbite de 7%, avec une trajectoire plus proche au périhélie, et plus éloignée à l’aphélie, les conséquences seront une température plus élevée de 15 degrés Celsius en été, et 10 degrés plus basse en hiver dans l’hémisphère Sud. Une fois les hostilités climatiques déclenchées, la question qui va se poser à Matt et ses amis est : à quoi peut servir le Mandjet dans un monde où les cartes du climat se redéfinissent, et où des populations entières tentent de migrer vers des latitudes plus favorables, sachant qu’aucun gouvernement du monde n’accepte l’arrivée massive de réfugiés. La ferme flottante va devenir le centre d’une flottille disparate lancée le long d’une course circulaire dans le Pacifique Sud pour tenter d’échapper aux températures intenables. Pendant ce temps, à terre, là où sont restés famille et amis, l’enfer se déchaîne.

En conclusion

Perihelion Summer est un texte représentatif des écrits les plus récents de Greg Egan, dans lesquels la science joue un rôle central mais se met en recul derrière les préoccupations humaines. En précipitant la catastrophe climatique, l’auteur joue avec la notion d’urgence et pose la question : sommes-nous prêts ? La réponse est évidemment non, et Perihelion Summer ne se montre optimiste ni ce point, ni sur la possibilité d’un réponse sensée à grande échelle. Le sursaut d’optimisme de Greg Egan est ailleurs et, sans surprise de la part de cet auteur, sur le rôle que la science a à jouer dans le pire des scénarios. Si le récit n’aboutit pas à un futur enviable, il envisage des solutions localement viables. Perihelion Summer est une réflexion amère sur l’avenir à moyen terme de notre planète, sur le déni de l’humanité face à la catastrophe climatique qui nous pend au nez et sa capacité à envisager une remise à plat de ses conditions de vie. Greg Egan signe là un texte militant, comme souvent, et fait de la science-fiction un moyen de dire ses préoccupations du moment. Ce court roman ne provoque pas le sense of wonder de ses plus grands écrits et vous n’en ressortirez pas saisis de stupeur (pour cela il vous faudra attendre la sortie de Diaspora le 30 Mai aux éditions Le Bélial’), c’est toutefois une contribution honorable à la bibliographie de l’auteur.


D’autres avis : Apophis, Gromovar


Titre : Perihelion Summer
Auteur : Greg Egan
Éditeur : Tor.com (16 avril 2019)
Langue : anglais
Nombre de pages : 216
Support : papier et ebook


23 réflexions sur “Perihelion Summer – Greg Egan

  1. Tu m’impressionnes, il est sorti à minuit, et non seulement tu l’as déjà lu, mais tu as en plus rédigé sa critique alors qu’il est à peine 14h !

    Pour ma part, j’en suis « à peine » à la moitié, et j’avoue ne pas être follement enthousiasmé par ma lecture. C’est un texte « honorable », comme tu dis, mais je déplore amèrement le fait que l’auteur livre de plus en plus des nouvelles / novellas sans l’ambition démesurée qui le caractérisait jusqu’ici (le trou noir sert clairement juste de gadget pour un changement climatique « accéléré » ou alternatif). Et sur ce texte précis, c’est encore pire, tant j’ai l’impression de lire un énième bouquin engagé sur le thème du changement climatique et des flux migratoires, qui ne se distinguerait en rien de ceux d’une cohorte d’autres auteurs. Mais bon, il me reste encore 50 % de ce roman court à lire, peut-être mon impression changera-t-elle. Critique à suivre demain.

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    1. Je pense que l’opinion que tu en as à 50% ne changera pas avec la seconde moitié. Le trou noir est clairement un gadget. Comme je le dis dans ma chronique, ce texte est typique de sa production récente, que ce soit dans l’ambition (ou son manque) ou dans les thématiques. J’ai tout de même pris plaisir à le lire, mais je manque cruellement d’objectivité en ce qui concerne Egan. PS: j’ai débuté ma journée à 4H du mat, ça aide…;)

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  2. Merci pour ta critique qui est vraiment intéressante . Dommage pour l’orientation d’ Egan sur cette novella je préfères qu’en il est vraiment ambitieux. Sinon aurait tu vu des titres intéressants en hard SF ( VO et VF) à paraitre cette année ? Merci d’avance pour ta réponse.

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    1. Il y a bien sûr Diaspora qui sort en Français fin Mai chez Le Bélial’. On attend aussi la suite de Children of Time (Dans la toile du temps) d’Adrian Tchaikovsky qui sortira le 14 Mai sous le titre Children of Ruin. Denoël ayant traduit le premier, la traduction du second devrait être rapide. Le même mois et du même auteur sortira Walking to Alderan. C’est du space opera mais je ne sais pas si ce sera en version hard-SF ou pas. Le 28 Mai, Ted Chiang sort le recueil Exhalation qui sera pour le coup de la hard-SF. Enfin, en Juillet sortira une anthologie de hard-SF sous la direction de Jonathan Strahan avec le titre Mission Critical. Et c’est tout ce que j’ai repéré pour le moment.

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  3. Très Chère Nébuleuse,

    Je suis assez fan des trous noirs, ou plus exactement intellectuellement excitée par les trous noirs dont la nature me laisse pantoise. Mon imagination a du mal à visualiser ce qui ce passe exactement à proximité… et dans ce roman, tu parles de gadget… pourquoi agiter ainis le mouchoir rouge devant mes yeux de taureau (oui, je suis née en mai).

    Tout ce qui touche à la météo et aux prévisions les plus pessimistes – oubliant au passage gaiement le rôle du système solaire et de son grand manitou et la redressement de l’inclinaison de la Terre – produit des romans qui ne m’emballent plus des masses quand je lis les inepties écrites.

    Bref, tout cela pour te dire, chère Nébuleuse, que je vais décliner ta tentative de charme. je vais attendre patiemment le 30 mai.

    Ton très zébulonesque lutin!

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