Wounds – Nathan Ballingrud

wounds-9781534449923_hrLe recueil de nouvelles The Atlas of Hell Wounds de Nathan Ballingrud est a priori tout ce que je n’aime pas : de l’horreur crue exposée au premier degré sans le côté suggéré propre au fantastique qui laisse libre l’imagination du lecteur pour aller sonder ses propres peurs, un côté gore extrême et répugnant, une plongée sans retour possible dans les profondeurs les plus sombres de la psyché humaine, là où plus rien de brille et ne brillera jamais. Et pourtant, j’ai adoré la lecture de ce recueil. Son attrait principal repose sur la qualité de l’écriture de Nathan Ballingrud. Ces nouvelles sont particulièrement bien écrites et dans le genre horreur sans concession et sous un format court, c’est probablement ce que j’ai lu de mieux. Chacun des textes est un exercice de narration (je ne parle pas d’exercice de style, ce qui pourrait être interprété péjorativement). Le style est direct, moderne, puissamment évocateur, et très immersif. Voire parfois humoristique. L’imagerie invoquée pour décrire l’enfer et ses créatures, à l’opposé, s’inspire de l’iconographie infernale médiévale et primitive et en reprend les codes. Certains tableaux évoquent très directement ceux de Jérôme Bosch.

L’auteur peint en six textes un véritable atlas des enfers suivant un thème relativement classique : l’enfer est dans le cœur des hommes. Et c’est là que le recueil révèle sa puissance. Le véritable frisson ne vient pas des horreurs décrites, ni de la violence ou des scènes gore, mais de la confrontation de celles-ci avec la banalité effrayante des comportements humains. Dans chacune de ces nouvelles, quel que soit le niveau d’horreur auquel ils sont confrontés, les personnages, après une première phase de rejet, finissent par accepter cette horreur, l’embrasser et la surpasser. Le message de fond est foncièrement déprimant : il n’y a aucune limite à ce que la psyché humaine peut accepter et valider. Ce n’est pas l’enfer qui corrompt l’humain, mais l’humain qui corrompt l’enfer. Ces pages ne s’adressent certainement pas à tout le monde. Il faut être doté d’une certaine capacité de détachement, avoir l’estomac bien accroché et être plutôt bien dans sa tête pour se lancer dans cette lecture. Si vous avez une famille et des amis à qui parler, c’est mieux.

Je fais une parenthèse historique au sujet de ce recueil. Sa publication avait été annoncée depuis quelques mois déjà, sous le titre très judicieux de The Atlas of Hell. Seulement voilà, la nouvelle The visible filth a été adaptée au cinéma sous le titre Wounds (il sera distribué par Netflix à l’international) et l’éditeur a donc modifié le titre du recueil pour le renommer…Wounds. C’est stupide puisqu’aucune des nouvelles du recueil ne porte ce titre et que The Atlas of Hell représentait à la perfection son contenu. Mais les lois du commerce, tout ça…

The Atlas of Hell

La nouvelle qui ouvre le recueil est la plus accessible et la plus immédiatement séduisante. C’est Réservoir Dog dans le Bayou. Un mafieux de la Nouvelle Orléans se rend compte qu’un de ses employés l’a doublé et a apparemment mis la main sur un « atlas des enfers » qui lui permet monter un trafic d’objets à la provenance trouble (celui-ci va même jusqu’à proposer à son ex-boss les os carbonisés de son fils décédé). Il dépêche à ses trousses un de ses sbires spécialisés dans les basses besognes et un voleur de livres anciens dans le but de liquider le petit trafiquant et récupérer l’atlas. L’atlas en question se révélera ne pas être un livre mais… autre chose. Ce guide vers les mondes infernaux va attirer les convoitises et provoquer la perte de ces hommes. Les dialogues entre protagonistes sont particulièrement savoureux.

The Diabolist

Prenant vaguement pour base le mythe d’Orphée aux enfers, la seconde nouvelle raconte les conséquences de l’invocation ratée d’un sorcier qui pensait faire revenir à lui sa femme mais se retrouve avec un démon des enfers enfermé dans une cuve dans sa cave. A sa mort, sa fille libère le démon, et celui-ci décide de posséder les habitants de la ville par amour pour elle. L’amour que l’on poursuit est à deux sens et peut avoir des conséquences imprévues lorsqu’on se joue des lois naturelles du monde.

Skullpocket

Il y a 70 ans la petite ville de Hob’s Landing dans la baie de Chesapeake a connu l’horreur lorsque trois jeunes goules se sont échappées de leur cité souterraine sous le cimetière pour se mêler aux hommes lors de la fête foraine annuelle, alors que derrières elles leurs parents décidaient de la fin de leur propre monde. Ce jour-là 14 enfants entre 6 et 12 ans moururent. Les goules se réfugièrent avec quelques monstres du freak show de la fête foraine dans une maison abandonnée de la ville. 30 ans plus tard the Church Of Maggots était fondée et désormais tous les ans est célébrée la mort des 14 enfants lors de ce jour néfaste. Le tout repose sur un mensonge perpétué depuis l’origine. La nouvelle conte comment les sociétés humaines acceptent l’horreur, la transforment en mythe, voire en religion monstrueuse, la célèbrent et la perpétuent. Il s’agit de la nouvelle qui illustre le plus directement le thème central du recueil.

The Maw

Ce texte est à mon avis le plus faible du recueil, bien que l’imagerie soit proprement terrifiante. Le quartier de South Kensington a été en quelques jours ravagés par des créatures infernales qui aveuglément moissonnent les corps. Seuls quelques kids s’aventurent au péril de leur vie le quartier qui est désormais bouclé, ce que tout le monde semble accepter plutôt tranquillement. Un homme fait appel au service d’une de ces kids pour aller récupérer son chien resté en arrière. Tous deux seront absorbés par la « beauté » de cette bouche des enfers qui s’est ouverte en plein cœur de Londres.

The visible filth

Une nouvelle dans laquelle la tension monte très progressivement. Will est barman dans woundsun petit bar de nuit dans le quartier français de la Nouvelle Orléans. Le bar est principalement fréquenté par quelques habitués. Au court d’une bagarre, un téléphone portable est abandonné sur place et récupéré par Will. Dans les quelques jours qui vont suivre, Will va recevoir, sur ce téléphone qui ne lui appartient pas, des images dignes d’un snuff movie, d’un crime particulièrement répugnant. Il s’en ouvre à Carrie, avec laquelle il vit. Ces images vont affecter leur relation. La dégradation de l’état moral de Will est mise en parallèle avec l’horreur et la peur qui s’insinue dans sa vie. Il acceptera ce qui remonte des enfers comme un espoir de rédemption de ses propres mensonges. La nouvelle a été adaptée au cinéma dans le film Wounds réalisé par le cinéaste Iranienne Babak Anvari avec Armie Hammer et Dakota Johnson dans les rôles principaux. Il a été présenté en avant-première au festival Sundance en Janvier 2019. Netflix va le distribuer à l’international et on pourra donc bientôt le voir sur nos écrans. L’adaptation a sans doute édulcoré certaines scènes particulièrement choquantes de par leur côté très gore. Ou alors il va falloir avoir l’estomac bien accroché.

The Butcher’s table

La nouvelle qui clôt le recueil change d’époque et de style puisqu’elle nous plonge dans le milieu de la piraterie dans les caraïbes au XVIIIè siècle. Martin Dunwood est anglais et très loin de chez lui, sur l’Ile de la Tortue. Dunwood vient de Londres pour représenter la Candlelight Society, une société de satanistes. Il recrute un équipage de pirates pour le mener à un rendez-vous pour un dîner en enfer. Chaque personne se joignant à ce voyage est animé par des motivations différentes qui se révèlent au cours du récit. Pour Dunwood, c’est l’amour pour la fille d’un prêtre sataniste, qui l’a poussé à tuer tous les membres de sa société, et il tente de la rejoindre. Pour d’autres, ce sera l’orgueil, l’ambition, ou la convoitise. L’aventure tournera au désastre, la compagnie étant pourchassée d’un côté par les anges vengeurs d’un Dieu des plus cruels et de l’autre par les gardiens des enfers qui comptent bien faire respecter la Loi qui interdit qu’on se promène impunément le long des côtes infernales. Encore une fois, c’est l’inconséquence des hommes et leurs pêchés qui les mènent à leur perte. La nouvelle est la plus longue du recueil mais construit une ambiance phénoménale. Et, elle boucle le recueil et explique comment l’atlas des enfers s’est retrouvé dans le Bayou au Sud de la Nouvelle Orléans 300 ans plus tard dans la première nouvelle.

Conclusion

Comme je le disais en introduction, je ne suis pas particulièrement fan de littérature d’horreur, que je trouve souvent ridicule, ni ne me complais dans l’hémoglobine et la pourriture des cadavres. Et pourtant, l’écriture de Nathan Ballingrud a su par ses qualités me séduire. Sa peinture des enfers reprenant les codes de l’iconographie médiévale où l’étrange et l’angoisse surgissent d’une corruption des formes humaines et animales (trop de membres, trop de dents), présente une folie baroque très évocatrice. L’unité thématique du recueil construit le récit au-delà de la nouvelle et participe à créer un univers extrêmement sombre pour dire une humanité plus corrompue encore que les créatures infernales qui habitent ces nouvelles. C’est un récit fort, parfois choquant, qui suscite l’intérêt et mérite certainement considération pour les fans ou non du genre. On évitera juste le couscous avant lecture (© 2018, Apophis).


D’autres avis : Gromovar,


Titre : Wounds
Auteur : Nathan Ballingrud
Publication : 9 Avril 2019 (Gallery / Saga Press)
Langue : anglais
Nombre de pages : 288
Support : papier et ebook


14 réflexions sur “Wounds – Nathan Ballingrud

    1. Je suis le premier surpris à avoir autant apprécié ce recueil. Et pourtant, j’ai été accroché dès le début. Je trouve ce recueil intelligent dans son unité thématique. Plus que chaque nouvelle prise séparément, c’est l’ensemble qui tisse une toile fascinante.

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  1. je ne crois pas que je vais m’y lancer. J’ai trop de recueils sur le feu, et d’ailleurs je ne te remercie pas car tu en est le principal coupable. Ma PAl se félicite de tes trouvailles, moi, je regarde son tour de PAL, et mon banquier ne me fait plus les yeux doux.

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