Nomads – Dave Hutchinson

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Dave Hutchinson est un auteur de SF anglais dont j’avais parlé sur le blog l’année dernière,  à l’occasion de la lecture de la novella Acadie (Tor, 2017),  novella dont les droits ont depuis été acquis par Le Bélial’ et qui sortira dans la collection Une Heure-Lumière au cours de l’année. Mon enthousiasme pour Acadie venait du fait que le récit surprenait par un retournement de situation aux deux tiers du livre, un twist d’une énormité rarement atteinte. Le mois dernier, l’auteur a publié Nomads, un texte très court de 84 pages, dans le cadre d’une série de quatre novella écrites par quatre auteurs chez Newcon Press. Le principe est de proposer à différents auteurs d’imaginer une histoire autour d’un thème, « les étrangers parmi nous » pour cette série. Dans Nomads Dave Hutchinson nous refait brillamment le coup du twist, et plutôt deux fois qu’une.

Frank est sergent dans la police du West Yorkshire, un conté du Nord de l’Angleterre entre Leeds et Manchester. Un trou paumé où les seuls troubles à l’ordre public sont causés depuis quelques années par les frères Hinchcliffe. Frank réussit à prendre les jumeaux en flagrant délit et à procéder à leur arrestation à la suite d’une course poursuite qui finit dans un champ au milieu des moutons. Cela va attirer sur Frank une attention dont il se serait bien passé. Un soir qu’il surveille une ferme où on a signalé un rôdeur, il est brutalement passé à tabac. Tout ceci n’est évidemment que la mise en place, sur un tiers du livre, d’une histoire qui va rapidement dépasser les limites du petit conté anglais.

« At this point, everything moved to the next folder, the one I presumed would result in a life sentence if it was leaked to the Press. »

Sous la forme d’un polar efficace, avec des personnages taillés pour l’occasion, une écriture parfaitement adaptée au genre, des pointes d’humour parfois grinçant et qui tombent toujours juste, et un rythme particulièrement maîtrisé, Dave Hutchinson propose en moins d’une centaine de pages un récit qui enchaîne les surprises à chaque virage. Un premier twist arrive dès le premier tiers, lorsque les affaires internes vont s’intéresser à Frank et qu’on découvre que Frank a des choses à cacher. Le récit entre alors de plain-pied dans la science-fiction pure et dure. Un second twist au deuxième tiers, un truc énorme qu’on n’avait pas vu venir, propulse la novella dans une toute autre direction, révélant que l’histoire n’est pas celle que nous imaginions jusqu’alors, tout en creusant encore plus le côté science-fictif. Dave Hutchinson s’offre ainsi le luxe d’explorer de manière originale plusieurs thématiques classiques de la SF, dont je ne peux évidemment rien dire.

« Which took me to the final folder. This one, judging by the stamps and stripes on the cover, required me to shoot myself immediately after reading it. »

En chroniquant le court roman Permafrost d’Alastair Reynolds il y a deux jours, je reprochais à l’auteur un sérieux manque d’originalité alors qu’il s’attaquait au voyage temporel, soit une thématique éculée en SF. La question se posait alors de savoir si l’on pouvait encore être original en s’emparant d’un sujet dont 1000 livres ont déjà parlé. Nomads de Hutchinson est TOUT ce que Permafrost de Reynolds n’est pas ! Hutchinson donne une leçon d’originalité, montre comment on s’approprie correctement un sujet, et colle par là même une magistrale déculottée à son compatriote plus célèbre.

Conclusion lapidaire

Nomads est délice science-fictif soutenu par une écriture brillante et une imagination totalement débridée. Si le récit est court, il n’en est pas moins extrêmement satisfaisant de par les surprises qu’il réserve et les retournements de situation qui ne laissent jamais le lecteur s’installer dans une illusion de déjà-vu. La fin laisse à penser qu’il pourrait y avoir une suite. C’est le type de récit qu’on imaginerait tout à fait être développé sous la forme d’une série chez Netflix. C’est en tout cas la novella la plus enthousiasmante que j’ai lue cette année.


Titre : Nomads
Auteur : Dave Hutchinson
Publication : 9 février 2019, Newcom Press
Langue : anglais
Nombre de pages : 84
Support : papier et ebook


19 réflexions sur “Nomads – Dave Hutchinson

  1. Pas trouvé autrement qu’au format Kindle…
    Du coup, en attendant, je vais commencer par Acadie, dont je viens de relire ta critique (je me rappelle l’avoir vue l’année dernière, mais en général je suis moins attiré par les formats courts, et j’étais passé à côté).
    Et si l’écriture de Hutchinson me plaît, sa série Fractured Europe m’a l’air intéressante, dans un autre genre.

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      1. L’ami Hutchinson est clairement doué, et j’aurais été très curieux aussi de lire The Push — mais pas au point de vendre un rein. Je n’ai lu que la moitié de la série « Fractured Mitiged » mais ça m’a laissé un sentiment mitigé : « Europe in Autumn » est intéressant et contient de bonnes idées ; « Europe at Midnight » m’a déçu — longuet et confus, en dépit d’une bonne idée de départ. À voir sur la suite. Mais je ne serai pas surpris qu’il soit plus doué pour la forme courte.

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          1. Honnêtement, je ne sais pas comment les romans de cette séquence de l’Europe fracturée s’articulent entre eux. Le mieux serait que je les (re)lise tous…
            Pas lu “The Incredible Exploding Man”… mais ce sera l’occasion de lire le recueil Sleeping With Angels où elle se trouve, en attendant The Return of the Incredible Exploding Man 😉

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  2. J’ai jeté un œil aux avis sur goodread. A quelqu’un qui demandait s’il est nécessaire de lire Automn et Midnight dans l’ordre ou si ces romans fonctionnent en tant que stand-alone, un autre lecteur a répondu « Read them in order, absolutely. Think of them as one book unnaturally divided.. » (et ceux qui ont lu le dernier tome disent aussi qu’il est indispensable d’avoir lu les trois précédents avant).

    J’ai lu Acadie hier soir, et suis un peu partagé. Bien que ce soit assez court, quand je suis arrivé au twist final, effectivement inattendu et bien préparé (ou plutôt tellement bien préparé qu’il est inattendu) je me suis quand-même dit « tout ça pour ça » – puis, après une minute ou deux pour digérer la surprise en essayant de me remémorer les indices qui auraient pu me mettre sur la piste, j’en ai conclu que l’auteur m’avait bien eu… Mais j’ai bien aimé le ton employé par Hutchinson, et le personnage principal (et narrateur). Les autres personnages restent assez peu développés, mais c’est normal vu la forme (courte et rédigée à la première personne).

    Bref, je ne suis pas encore décidé à attaquer Fractured Europe – autre genre, autre univers, autre forme, donc pas sûr que d’avoir plutôt apprécié la lecture d’Acadie soit un critère suffisant.
    Je vais plutôt lire Nomads avant.
    Mais pas tout de suite : j’ai deux autres bouquins de SF sur ma pile, l’un et l’autre la suite et fin d’un cycle, donc le genre de chose qui ne peut pas attendre…

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    1. Dans « tout ça pour ça », pour moi c’est le « tout ça » qui est important. Comme on dit, c’est le voyage qui compte, plus que la destination. C’est d’autant plus vrai dans la forme courte. Acadie, je le vois comme un tour de Grand 8. Quand le manège s’arrête, tu es revenu les pieds sur terre au même endroit, mais entre temps tu t’es bien fait secouer.

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