Mind over ship – David Marusek

Mind over Ship répond à Counting Heads de la manière la plus efficace qui soit. Le monde du XXIIè siècle imaginé par David Marusek est maintenant connu du lecteur. L’auteur propose une immersion dans un univers postcyberpunk, tendance nanopunk débridée, dans lequel l’atmosphère et les corps sont saturés de nanomachines enregistrant la moindre information. La pyramide sociale est dominée par une poignée d’ultra-riches possédant tous les moyens de production et de contrôle de l’économie. Ils ont en outre à leur service des mentars, intelligences artificielles plus ou moins stables, qui elles-mêmes poursuivent leurs propres buts. La plupart des humains sont regroupés en Charters, associations économiques et culturelles, leur permettant d’exister dans une économie de boutique (une économie ultra-spécialisée qui emploie certains talents mais écarte les autres) qui a rendu obsolète la grande majorité des individus. La production est assurée par des robots et les emplois de service par des lignées de clones sélectionnées pour leurs compétences.  La planète Terre est surpeuplée, les naissances sont contrôlées, et l’écosystème entier s’effondre. C’est un monde dans lequel il n’y a en fait plus de place pour personne, ni humain, ni clone, ni machine.

Une construction bluffante

Afin d’aborder sereinement la complexité de l’ensemble, je recommande de lire les deux romans à la suite l’un de l’autre afin d’avoir bien en tête les éléments, aussi éparses qu’ils aient pu paraître, liés à  l’univers, aux personnages, et aux micro-histoires qui peuplaient Counting Heads, car tout est important. Dans Mind over ship, Marusek allège (notion très relative) le worldbuilding et consacre maintenant ses pages à développer une histoire. Les différents arcs narratifs se rejoignent pour ne plus former qu’un seul et même récit cohérent, construit, et dans lequel le moindre petit détail fait à présent sens. C’est en lisant Mind over Ship que l’on prend conscience de la finesse du tissage et du génie scénaristique de la duologie de Marusek. C’est absolument bluffant. Rien, pas la moindre pierre lancée dans une mare, pas le moindre mot lâché au détour d’une conversation en apparence anodine n’a été laissé au hasard.

On retrouve dans Mind over ship la plupart des personnages encore en vie là où on les avait laissés. Mais cette fois-ci David Marusek ressert le propos et nous propose d’en suivre principalement quatre. Il y a d’abord Ellen Starke, la fille d’Eleanor, dont le cerveau a pu être sauvé. Elle doit maintenant apprendre à vivre avec un nouveau corps, celui d’une enfant âgée de seize mois, et grandir avant de pouvoir reprendre les affaires de sa mère disparue. Pour l’y aider, Mary, clone de la lignée des évangelines, est restée à son service. Mais cette lignée va faire l’objet d’une attaque visant à détruire économiquement Applied People, la compagnie créant et employant les clones. Son mari, Fred, de la lignée des russ, sort indemne du procès auquel ses actions à la fin de Counting Heads l’avaient condamné. En pleine crise existentielle, il va devoir accepter un boulot sur Trailing Earth, la station spatiale située au point de Lagrange de la Terre. Enfin, l’évêque  Merrill Meewee, qu’Eleanor avait appointé chef spirituel du projet de colonisation spatiale Garden Earth, va devoir tout faire pour sauver le projet et ses 150 vaisseaux habitats des convoitises des membres du comité de pilotage en l’absence d’Eleanor.

« – Speak simply, man. Use plain language.
– I said you’re a fish.
– That makes no sense. »

C’est la destinée de ce projet d’arches spatiales qui va être au cœur du scénario du roman, va lier les différents arcs narratifs et faire l’objet du plus grand complot jamais imaginé dans l’histoire de l’humanité. C’est  à un peu plus d’un tiers du livre, lors d’une discussion entre l’évêque et un poisson (oui, vous avez bien lu !), que l’on va découvrir les plans derrière les plans et l’ampleur formidable du récit de David Marusek. A partir de là, la narration s’accélère, les chapitres deviennent courts et pendant un bon moment, chaque nouvelle page est à elle seule un festival d’idées et de révélations. Il y a bien quelques facilités parfois, des résolutions un peu rapides, mais l’ensemble est tendu. Il ne s’agit plus de concurrence économique entre industriels fortunés, ni de lutte pour la possession des terres disponibles, c’est déjà fait, mais ni plus ni moins que de l’avenir de l’humanité et sous quelle forme celle-ci va devoir s’adapter pour survivre. On ne parle plus de trans-humanisme, mais de post-humanité. En parallèle, c’est aussi le récit d’une descente en enfer dans les névroses existentielles que ne manque de provoquer la réalisation chez l’individu de sa propre obsolescence. La fin du roman, qui s’offre le luxe d’être à la hauteur de l’ensemble, laisse ouverte la porte à une suite. Si Marusek en a un jour l’envie.

En conclusion

Les réserves que j’avais pu avoir sur Counting Heads s’effondrent avec Mind over ship. La duologie de David Marusek est un coup de maître digne de romans comme Accelerando de Charles Stross pour sa vision d’un avenir post-singularité, d’œuvres de Greg Egan pour les thématiques abordées, ou encore de certains écrits d’Hannu Rajianemi dans la folie sans limite qu’il s’autorise. J’ignore pourquoi cet auteur n’est pas plus connu. J’avais crié au coup de génie pour le premier tome d’Upon this Rock. La lecture de Counting Heads/Mind over ship me confirme dans l’idée qu’il s’agit là d’un auteur de SF de premier plan. Certes, c’est un auteur qui n’est pas facile à lire. Counting Heads et Mind over ship relèvent d’une SF très avancée et il faudra maîtriser bien des codes de la science-fiction pour appréhender cet ouvrage. Un lecteur  débutant en SF ne comprendra pas une page de ces deux livres. Pas une. Pour les autres, c’est le vertige assuré.


Titre : Mind over ship
Cycle : Couting heads (2/2)
Auteur : David Marusek
Publication : 2009, Tor books
Langue : anglais
Nombre de pages : 317
Support : papier et ebook


12 réflexions sur “Mind over ship – David Marusek

  1. tu as fait une erreur sur ta conclusion…
    Il fallait écrire : piochez un Marusek et régalez-vous. Je crois que cela colle parfaitement avec ce que tu en dis depuis plusieurs articles. Et je vais suivre tpn conseil subliminal et piocher des Marusek!

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