Counting Heads (Un paradis d’enfer) – David Marusek

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Counting Heads est le premier roman de David Marusek. Publié initialement en 2005 chez Tor Books, il est aussi à ce jour le seul roman de l’auteur américain traduit en français en 2008 sous le titre Un Paradis d’Enfer par Thierry Arson pour les Presses de la Cité. C’est à la suite de ma lecture enthousiaste des deux premiers tomes de sa nouvelle pentalogie Upon this Rock que j’ai eu l’envie de découvrir les œuvres antérieures de cet auteur.

2092 – les promesses et les revers de la technologie

Singulier roman postcyberpunk,  Couting Heads débute en l’an 2092. La première partie est une version remaniée de la nouvella We were out of our minds with Joy (1995) publiée en français sous le titre L’Enfance attribuée par Le Bélial’ en 1999. Le récit à la coloration eganienne (de Greg Egan, l’auteur de hard-SF qui explore sans relâche les implications sociétales des nouvelles technologies) introduit le personnage de Samson Harger, artiste à succès. Celui-ci rencontre Eleanor Starke, une célèbre et puissante femme d’affaires âgée de 200 ans. Après des débuts difficiles, leur relation s’épanouit et les bonnes nouvelles s’accumulent, un peu trop rapidement. Eleanor est d’abord invitée à rejoindre le groupe des gouverneurs, ce qui lui assure un rôle politique de premier plan. Puis le couple est sélectionné par le ministère de la Santé et reçoit un permis qui l’autorise à avoir un enfant. Dans cette société futuriste avec d’un côté des nanotechnologies  qui autorisent le rajeunissement des corps dans des bains de jouvence pour ceux qui peuvent se les offrir, et de l’autre une surpopulation de 15 milliards d’habitants, les naissances sont extrêmement contrôlées. Et rares. C’est donc une chance extraordinaire pour le couple. Tellement extraordinaire qu’Eleanor commence à douter que cela en soit vraiment une et envisage une manipulation d’un de ses ennemis politiques.

Nous sommes dans une société de prodige technologique, la maladie et la mort ont essentiellement été vaincus. Ceux qui en ont les moyens sont potentiellement immortels, bénéficiant d’une jeunesse éternelle. Mais nous sommes aussi quelques dizaines d’années après l’Outrage, une pollution nanotechnologique globale de l’atmosphère par des NASTIES, nanovirus militaires devenus sauvages. Les villes sont enfermées sous des dômes, des canopées, filtrant l’atmosphère. En sortir est dangereux et le HomeCom contrôle en permanence la population à la recherche d’éléments de contamination. Des limaces robotisées testent aléatoirement les citoyens, des scans génétiques sont effectués, des insectes militarisés surveillent cette société dans laquelle tout est connecté, des individus aux pots de fleurs. Lors d’un contrôle aléatoire, Sam est faussement déclaré contaminé et il est cautérisé par les autorités. Cela signifie pour lui un nettoyage complet du génome, un effacement des banques de données médicales,  et l’impossibilité  de subir de futures altérations ou jouvence.  Le rideau tombe, il y a clairement quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

2132 – Un nouveau monde

Le ton change dramatiquement dans la seconde partie du roman. Nous sommes à Chicago, 40 ans plus tard, et la société est passée de l’autre côté de la singularité technologique qui s’annonçait dans la première partie. Sam et Eleanor ne sont plus que des personnages secondaires. Rapidement dans le récit, Eleanor meurt dans un attentat. Sa fille, Ellen, est gravement blessée (décapitée).  L’enquête sur l’attentat et le maintien en vie d’Ellen va constituer le fil conducteur du roman. 

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Les intelligences artificielles naissantes sont devenus des mentars indépendants, quoi que toujours liés légalement à leur sponsor.  La main d’œuvre a été remplacée par des lignées de clones choisis pour leurs compétences : les russ, les jenny, les evangelines, les lulus, etc. Bien qu’humains indépendants, ils ne sont pas socialement  considérés comme de vraies personnes. Les vrais humains, eux, se divisent en deux catégories : les ultrariches, affs, qui dirigent les grandes entreprises et donc la politique, et les autres, les Chartistes qui pour subsister doivent se regrouper en Charters, groupements autant économiques que familiaux, et mettre en commun leurs revenus. Counting Heads prend alors la forme d’un roman chorale où on suit une multitude de personnages issus des différentes strates de la société et une multitude d’histoires. En 2092, les humains étaient encore aux commandes. En 2132, ils ont été progressivement remplacés par leurs propres créations.  Counting heads est une fresque sociale. Affs, Chartistes, clones et mentars luttent pour avoir une place dans la société du XXIIè siècle. Les mentars déviants sont arrêtés et reformatés par le HomeCom,  les Chartistes perdent leurs emplois pour être remplacés par des simulations, et les clones deviennent obsolètes. Les limaces elles-mêmes se font écraser lorsque la canopée couvrant Chicago est abandonnée. La singularité s’est emballée et plus personne ne sait qui contrôle quoi. Ce sera d’ailleurs là une des grandes questions qui restera ouverte à la fin du livre.

En fond, nous suivons le développement du projet Garden Earth d’envoyer une centaine d’arches spatiales emportant des millions d’humains cryogénisés à la conquête d’autres planètes pour soulager la surpopulation terrestre.

Un éparpillement des idées

Counting heads est un formidable roman qui bénéficie d’un worldbuilding  de grande qualité mais qui souffre de sa trop grande richesse. David Marusek possède une imagination débordante et son roman regorge d’idées. Thématiquement, on se situe quelque part entre les écrits de Greg Egan et Accelerando de Charles Stross.  Son souci toutefois est que sa densité l’alourdit. Très détaillé dans la peinture qu’il donne à contempler, le worldbuilding prend le pas sur l‘histoire et les personnages. On ne s’y ennuie jamais car David Marusek nous conte de nombreuses micro-histoires qu’il anime généreusement par ses nombreux personnages, mais on se laisse noyer par le trop plein.

Ambitieux, généreux, imaginatif, richement décoré,  Counting heads est un vrai roman de science-fiction qui explore en détails les conséquences sociétales d’avancées technologiques elles-mêmes condamnées à l’obsolescence.  On lui reprochera toutefois de trop s’éparpiller au risque de finir par  ressembler à un magnifique oiseau sans tête qui court dans tous les sens.

De grandes questions restent en suspens à la fin du roman. Elles trouvent réponse dans l’excellente suite : Mind Over Ship.


D’autres avis : Apophis.


Titre : Counting heads
Cycle : Counting Heads (1/2)
Auteur : David Marusek
Publication originale : 2005, Tor Books
Traduction : Un Paradis d’Enfer –  Presses de la Cité – 2008
Nombre de pages : 340 (VO) 566 (VF)
Support : papier et ebook


21 réflexions sur “Counting Heads (Un paradis d’enfer) – David Marusek

    1. Upon this rock et celui-ci sont très différents. j’avoue une préférence pour Upon this rock, dont le premier tome est vraiment magistral. Counting heads, comme je le disais, part un peu dans tous les sens mais il est très très intrigant. J’ai tout juste commencé la suite…

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  1. A ma bibliothèque, on mi’indique We Were Out Of Our Minds With Joy (L’Enfance attribuée ) paru chez Orion en 1999 en français. Ainsi que sa présence dans Fictions 12 ( avec la superbe couverture de Frederick Peeters).

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      1. Orion EST le Belial’. Si je me souviens bien, Orion était la maison d’édition de Gilles Dumay, et elle a fusionné avec le proto-Belial’ (qui était une société dont les statuts ne lui permettaient que de publier Bifrost, pas des livres) pour former le Belial’ tel qu’on le connaît aujourd’hui.

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  2. je vais te faire un commentaire que tu trouveras certainement très constructif.
    Je vais déjà lire Rock que j’ai déjà acheté. Si je suis séduite je ne dirais pas non pour découvrir davantage, dans l’attente, je vais… attendre.

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  3. Je n’en suis qu’à la moitié de L’enfance attribuée (que je lis pour Bifrost), et je suis tellement sur le cul devant ce Nanopunk Dystopique que j’ai acheté Counting heads dans la foulée et que je vais le lire d’ici une dizaine de jours, le temps de finir les trucs en cours.

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