Vigilance – Robert Jackson Bennett

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Vigilance est le tout nouveau roman de Robert Jackson Bennett, auteur du très remarqué American Elsewhere publié en septembre dernier chez Albin Michel Imaginaire. Connu pour ses romans de fantasy (la trilogie des Divine Cities, The Founders) ou de fantastique (American Elsewhere, Mr. Shivers), l’auteur s’essaye à la science-fiction dans ce court roman de 208 pages. Et pour un essai, s’il n’est pas totalement original, le moins que je puisse dire est qu’il est tout de même très réussi. Classé en hard-SF par son éditeur, je parlerai plutôt de thriller politique situé dans un futur proche. C’est un roman « coup de poing », pour reprendre une expression en vogue chez les éditeurs, qui prend aux tripes.  On va aimer ou détester mais il ne laissera pas indifférent. Moi, j’ai adoré.

C’est un futur dystopique que Bennett peint, avec ce qu’il faut de catastrophes climatiques observables à court terme, de ravages économiques et sociaux et d’abrutissement de la population par l’intermédiaire de programmes TV excitant les plus bas instincts de la population. Nous sommes aux États-Unis, en 2030. Le centre de gravité de la politique mondiale, de l’économie et de la technologie s’est déplacé vers la Chine qui est devenue la première nation… en tout. Elle a même commencé à terraformer Mars for fuck sake ! Les États-Unis ne sont plus que l’ombre de leur passé. Sa jeunesse s’expatrie de plus en plus et la moyenne d’âge du pays commence à s’étirer, faisant ressembler le profil social de la population à un formulaire d’admission de maison de retraite.

John McDean est le producteur exécutif de l’émission de TV réalité Vigilance. Ce programme a été lancé à la suite de la 514ème tuerie de masse dans une école américaine en 2026, lorsque les annonceurs ont réalisé que les gens passaient des heures à regarder les images du massacre filmé de l’intérieur sur un téléphone portable. Robert Jackson Bennett nous rappelle que ce pays s’est fondé non pas sur de grands idéaux de liberté mais sur la peur, triste réalité que l’actualité nous rappelle sans cesse. Cette peur atavique, Vigilance en fait son fond de commerce en délivrant un message anxiogène et forcément vendeur : « Are you prepared? Are you alert? Are you VIGILANT? » . Il faut entretenir la peur d’une perpétuelle menace étrangère ou domestique, que chacun se tienne alerte, soit prêt à se défendre, et s’arme. Comme le dit Bennett, plus il y a d’armes en circulation, plus la peur augmente, et plus on s’arme.

« People wanted to be civilians in Vigilance. They wanted to be bystanders, to be attacked. They wanted to be under siege. They wanted to stand up, and fight back, and see if they survived. « 

Vigilance sélectionne des profils de tueurs en puissance, des jeunes gens au passé familial lourd, ayant subi les ravages d’une économie effondrée, ou une quelconque humiliation sociale qui en fait des personnalités psychologiquement fragiles, prêtes à basculer et à massacrer leurs concitoyens. Vigilance les arme, en leur accordant un crédit de points qui leur permet de choisir eux-mêmes leur attirail de mort, et les lâche sur un « terrain de jeu » minutieusement choisi : un événement sportif, une gare ferroviaire, un centre commercial. Le tout pour attirer le maximum de spectateurs. Et Vigilance filme en direct le massacre, le met en scène. Si le tueur s’en sort, il gagne le grand prix (20 millions de dollars). De même, si un citoyen, qui aurait été suffisamment vigilant pour sortir armé, arrive à éliminer un tueur, il gagne une importante somme d’argent (5 millions de dollars). Vigilance est l’ultime jeu de télé-réalité dans lequel on joue sa vie.

La peinture dystopique d’une société américaine dans laquelle la violence est omniprésente et qui se distrait en regardant un programme TV dans lequel les participants sont traqués et doivent échapper à la mort n’est pas nouvelle. C’est précisément le scénario du roman de Stephen King de 1982, écrit sous le nom de plume Richard Bachman, The Running Man, ainsi que du film qui s’en inspire, réalisé en 1987  par  Michael Glaser (avec Arnold dans le rôle principal). Le roman de Robert Jackson Bennett peut être ainsi vu comme une réécriture plus cynique encore du roman de King, puisqu’ici il n’est pas vraiment question de s’en sortir ou de sauver quoi que ce soit, mais uniquement de violence cathartique pure dans une société malade. Bennett pousse ainsi le cran plus loin dans la virulence de sa critique de la société américaine, et de la violence qu’elle porte en son sein. Une scène centrale, se déroulant dans un bar devant l’émission, dit tout. Vigilance est un livre lui-même forcément violent, et les scènes qui décrivent le massacre télévisé au cœur du livre n’épargnent ni les victimes ni le lecteur. Enfin, il y apporte dans sa partie finale un twist qui délivre un message simple : le pire ennemi du peuple américain est lui-même.

Alors voilà, Robert Jackson Bennett nous propose avec Vigilance une histoire qui n’est pas tout à fait originale, mais qu’il écrit très bien en poussant les curseurs plus loin que le roman de King qui l’a indéniablement inspiré. C’est une lecture courte mais percutante que j’ai beaucoup appréciée. L’excellence de la plume de Bennett y fait pour beaucoup.

Mise à jour : les droits du roman ont été acquis par les éditions Le Bélial’ pour la collection Une Heure Lumière. Il a été publié le 27 août 2020 sous une couverture dessinée par Aurélien Police et une traduction de Gilles Goullet.


D’autres avis de lecteurs : Apophis, Gromovar, Blog-O-Livre, Les lectures du Maki, Lorhkan, Au pays des Cave Trolls, Xapur, Nevertwhere, Yuyine, Le Chroniqueur, Le Dragon galactique,


Titre : Vigilance
Auteur : Robert Jackson Bennett
Publication : 29 Janvier 2019 chez Tor.com
Langue : anglais
Nombre de pages : 208
Format : papier et ebook


31 réflexions sur “Vigilance – Robert Jackson Bennett

  1. ben vous n’êtes pas en retard Apophis et toi. Vous vous êtes fait une lecture commune, donner le mot ou c’est un pur hasard (d’ailleurs à ce sujet je connais une blague sur le Pur hasard).

    Pour le roman, n’ayant pas lu running man, je ne errai sans doute pas la filiation avec ce dernier. Je suis vraiment tentée. Merci
    Maintenant, je vais déguster le critique de MON ami Apophis. 😉

    Aimé par 1 personne

    1. D’un point de vue technologique ou scientifique, Bennett ne sort pas du cadre des connaissances actuelles. En outre, il explore les conséquences d’un usage extrême des technologies de l’information. J’imagine que ça a suffit à en faire un livre de hard-SF. Pour moi, il est vrai que ce n’est pas un critère suffisant.

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