Une BD : Phil, une vie de Philip K. Dick – Laurent Queyssi et Mauro Marchesi

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Il y a peu, chroniquant sur ce blog l’anthologie Infinity’s end de Jonathan Strahan, je parlais de la nouvelle Kindred de Peter Watts tout en passant complètement à côté de son inspiration principale. La nouvelle est aussi un texte hommage à Philip K. Dick, ce que Laurent Queyssi m’indiquait tout en m’invitant à aller me faire éduquer en lisant sa BD. Je ne suis pas du genre à minauder face à la promesse d’une fessée, alors je l’ai lue sa BD. Et je fus éduqué.

Phil, une vie de Philip K. Dick est une biographie en bande dessinée signée par Laurent Queyssi pour le scénario et Mauro Marchesi pour les dessins. Laurent Queyssi l’explique dans le post-scriptum, il a pris le parti de mettre cette nouvelle biographie, ce n’est pas la première évidemment, en images. En images ne signifie pas seulement sous la forme d’une BD mais aussi d’inscrire le récit de la vie de Philip K. Dick dans l’image plus large de son époque et des milieux culturels et sociaux qu’il a traversés, et de la contre culture dans laquelle il a baigné durant quasiment toute sa vie. Ce choix fait la réussite de cette biographie, à mon avis, même si au départ ce n’était pas gagné. Pourquoi ? Parce que même si j’ai une bonne partie des œuvres de Philip K. Dick dans ma bibliothèque, je dois concéder ne pas être un très grand fan. Je reconnais l’ampleur de son apport à la science-fiction, l’originalité et la puissance de ses idées, mais ses écrits me laissent généralement assez froid. Et quand bien même il est l’inspirateur d’un de mes films de SF préférés auquel ce blog doit son nom.

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Telegraph avenue, Berkeley

Sur la forme, j’ai été surpris par le dessin de Mauro Marchesi. Je n’ai pas immédiatement accroché. Dans les premières pages, j’ai trouvé  le style vieillot, daté. Mais cela fait sens par rapport au récit et à son époque.  Il se trouve de fait en parfaite adéquation avec le propos. Il est aussi particulièrement bien documenté. Je connais bien certains des lieux qui ont fait partie de la vie de Philip K. Dick dans la baie de San Francisco. Ils sont représentés de manière très fidèle : la junior high school de Berkeley, la maison sur Francisco Street, et au-delà Point Reyes Station au Nord de San Francisco, etc. Le magasin de disques dans lequel Philip K. Dick travaillait étant jeune est un lieu mythique de Berkeley, au croisement de Channing et Telegraph avenue, désormais nommé Rasputin Music (Metallica y a joué un concert gratuit, en Avril 2016). Je n’ai noté qu’une seule erreur dans le dessin, qui est l’entrée du Francis Drake Hotel à San Francisco. J’ai forcément beaucoup apprécié cet aspect car il renvoie à quelque chose de personnel, appartenant à ma propre histoire. Il était donc facile de me séduire.

Sur le fond, on ne pourra pas mener Laurent Queyssi au bûcher des idolâtres. Philip K. Dick n’est pas présenté comme un personnage particulièrement aimable et bien dans sa tête. Schizophrène, paranoïaque, dépressif, drogué aux amphétamines, père démissionnaire et mari violent, suicidaire multirécidiviste : le casier du bonhomme est lourd. Tout cet aspect de la vie de l’écrivain, Laurent Queyssi ne cherche pas à le minimiser. Il en fait même l’un des moteurs du récit. La paranoïa alimente les écrits qui en retour la nourrissent. Laurent Queyssi et Mauro Marchesi utilisent d’ailleurs pleinement l’image pour montrer l’imaginaire de l’auteur interprétant et se réappropriant les visions délirantes qui l’assaillent régulièrement. Il apparaît alors comme un homme en proie à son imagination. Il en devient attachant. Mais la véritable addiction de Philip K. Dick, et c’est ce que la BD montre, est l’écriture.

Au-delà des écrits, je ne m’étais jamais vraiment intéressé à la vie de Philip K. Dick, ne connaissant que les quelques mythes entourant « l’auteur dérangé ». Ces mythes, nous les retrouvons dans la BD, bien sûr, mais ils sont mis dans la perspective de l’homme et de son œuvre littéraire. Laurent Queyssi évite l’anecdotique qui hante trop souvent les biographies. De là, on saisit mieux les thèmes récurrents dans ses écrits, comme l’existence d’autres réalités objectives du monde et l’idée de simulacre. Phil, une vie de Philip K. Dick aide à penser Philip K. Dick. Pas mal monsieur Queyssi ! Pas mal du tout.


Si vous souhaitez en savoir plus sur la vie de Philip K. Dick, je vous conseille le billet de Gilles Goullet sur le blog de Bifrost.


Titre : Phil, une vie de Philip K. Dick
Auteurs : Laurent Queyssi et Mauro Marchesi
Publication : Janvier 2018 chez 21g
Langue : français
Nombre de pages : 144
Format : papier


12 réflexions sur “Une BD : Phil, une vie de Philip K. Dick – Laurent Queyssi et Mauro Marchesi

  1. Si la vie du bonhomme t’intéresses (même si tu n’aimes pas ses oeuvres), tu as une biographie d’Emmanuel Carrère : je suis vivant et vous êtes mort.
    Je l’ai lu il y a une dizaine d’années. Ma conclusion : il était cinglé. Un peu au début, pas mal au milieu, complètement à la fin.

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  2. Waaaah, une BD-biographie ! C’est cool 🙂 ! Il faudrait que je m’intéresse à la biographie de K. Dick, j’aime beaucoup ce qu’il fait et vu toutes les légendes qui circulent à son propos, ce serait pas mal d’avoir des « vraies » informations.
    Super chronique en tout cas, je vois que je suis pas le seul à m’intéresser à la BD !

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  3. Très intéressant ton article, je ne connaissais pas cette BD.
    J’avais vu un documentaire sur sa vie sur arte il y a quelques années (les mondes de Philip K. Dick), je trouverais interessant de comparer avec la BD 😉

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  4. Le « délire » est assez présent ou cela reste très très majoritairement du réel ?
    Merci pour la découverte en tout cas. Je suis loin d’être fan de Philip K. Dick, mais cela peut toujours être intéressant.

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    1. Haha ! « du même éditeur » ! comme si les éditeurs savaient dessiner ! c’est comme quand on voit sur une affiche de cinéma « par les producteurs de… », en général ce n’est pas très bon signe.
      A part ça, il existe une BD biographique de Robert Crumb sur Dick, une dizaine de pages sur son épisode mystique majeur de 74, très recommandable
      https://fr.scribd.com/document/10863883/Robert-Crumb-The-Religious-Experience-of-Philip-K-Dick
      J’ai lu et relu Dick beaucoup trop jeune pour en penser quoi que ce soit

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