Noumenon – Marina J. Lostetter

noumenon

Noumenon est la première fiction longue de l’auteure américaine Marina J. Lostetter, publiée en Août 2017. Ce roman connait une suite, Noumenon Infinity, qui est sortie en Août 2018. Cette sortie estivale appelait donc à ce qu’on s’intéresse au premier tome. Dans Noumenon Lostetter s’attaque à l’un des gadgets majeurs de la science-fiction, à savoir l’arche générationnelle. Le sujet n’est pas nouveau et depuis les années 40 de nombreux auteurs ont écrit des romans de SF spatiale sur le sujet : Arthur C. Clarke (Songs of Distant Earth), Robert A. Heinlein (Orphans of the Sky), Brian W. Aldriss (Non-Stop), John Brunner (Lungfish), Harry Harrison (Captive Universe), pour ne citer que ceux-ci, et plus récemment, on peut aussi évoquer Kim Stanley Robinson (Aurora) , Alastair Reynolds (House of Suns) et Adrian Tchaikovsky (Children of Time). La liste est longue, très longue, et on pourrait croire le sujet épuisé. Marina J. Lostetter pense autrement et se lance dans l’aventure. Un soucis tout de même, le livre me semble très fortement inspiré d’Aurora de Kim Stanley Robinson, sorti 2 ans avant.

L’auteure choisit d’envoyer dans l’espace des clones, sélectionnés pour leur patrimoine génétique, et dont les générations successives vont occuper l’arche.  Notez que la même idée a été exploitée de manière différente dans Six Wakes de Mur Lafferty, autre roman publié en 2017 et nominé pour le prix Hugo 2017. L’originalité est ici de jouer la carte de l’inspiration assumée des œuvres passées au maximum et d’en faire sa force. Marina J. Lostetter place dans son roman à peu près tout ce qu’on peut y mettre autour du thème de l’arche générationnelle et du voyage vers une destination inconnue : tout ce qui peut bien ou mal se dérouler socialement dans une société prisonnière d’un environnement fermé au cours d’un voyage de plusieurs générations,  les renversements politiques, les mutineries, l’espoir et le désespoir, une IA qui s’éveille à la conscience, la rencontre avec un Big Dumb Object, une sphère de Dyson, le premier contact mais sous une forme inattendue, etc. Si l’histoire en elle-même n’est pas excessivement surprenante, la variété des questions soulevées dans le roman l’est. Le livre est relativement court, 432 pages, et l’auteure n’a pas le temps d’entrer dans de profondes considérations philosophiques mais elle aborde de très nombreux thèmes.

2088, PQ Pyx.

Le roman débute en 2088 avec la soutenance de thèse de Reginald Straifer. Reggie a observé une étoile, LQ Pyx, dont l’émission particulière suggère qu’elle est enchâssée dans une structure incomplète dont il est impossible de déterminé si elle est d’origine naturelle ou artificielle. Le mot sphère de Dyson circule rapidement sur toute les lèvres. L’humanité connait une période de stabilité économique et envisage de grands projets. Ayant découvert le moyen de voyager plus vite que la vitesse de la lumière (j’y reviendrai), elle s’apprête à lancer 12 missions d’exploration de longue durée dans l’espace. L’idée de Reggie d’aller voir de plus près LD Pyx est retenue parmi d’autres projets. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, mais prendra 37 ans, et 10% du livre, pour construire les arches, et arriver au jour du lancement. Chacune des missions est différente, et le livre suit Noumenon, celle dont Straifer est devenu le maître d’oeuvre. Il va s’entourer de nombreux spécialistes comme Akane Nakamura, Jamal Kaeden, Margarita Pavon, … Aucun d’eux ne partira, mais leur clone oui, ainsi que 100 000 autres qui depuis leur naissance vont être éduqués pour la mission qui les attend.

26 Septembre 2125, le départ.

Noumenon, le convoi numéro 7, est fait constitué de 9 vaisseaux qui ont chacun leur fonction : laboratoire scientifique, usine, hôpital, habitat principale,… L’analogie utilisée par l’auteure pour expliquer le voyage supraluminique est le suivant : l’espace temps est comme un océan à la surface duquel la matière normalement se déplace. Les sous-dimensions sont comme les courants sous-marins (ce qu’on appelle la circulation thermohaline). Plonger dans ces courants permet de se déplacer plus rapidement que la lumière par rapport à la surface (vitesse relative) sans pour autant jamais approcher la célérité (en vitesse absolue). La physique n’aimant pas être hackée de la sorte, il faut générer une bulle dimensionnelle qui protège le vaisseau des particularités des sous-dimensions. Ce type de voyage dans les sous-dimensions de l’espace temps est une idée couramment utilisée en SF et qu’on trouve quasiment à l’identique dans des romans récents comme Légationville de China Miéville, the Tea Master and the Detective d’Aliette de Bodard ou Embers of War de Gareth L. Powell, par exemple. Une des conséquences de ce mode de déplacements est le décalage temporel que vont subir les vaisseaux par rapport à la Terre : le voyage d’aller durera pour eux 100 ans, alors que 1000 ans se seront passés sur Terre. Les communications avec la Terre sont soumises elles aussi aux particularités du déplacement sous-dimensionnel. La dilatation temporelle fait que lorsqu’un message est envoyé toutes les semaines depuis Noumenon, deux mois passent entre chaque sur Terre. Jusqu’à ce que la liaison soit perdue.

2500 ans d’histoire

La mission va ainsi être confrontée à deux grandes questions : que trouveront ils à destination et que trouveront ils lorsqu’ils reviendront après 2000 ans sur Terre.

La réponse à ces questions constitue l’essentiel du roman. Le livre de Marina J. Lostetter est assez satisfaisant de ce point de vue. Là où de nombreux romans de SF se contentent de vous conter le voyage et la découverte sur place, Noumenon emmène son lecteur depuis la Terre, jusqu’à LQ Pyx, où la mission étudie pendant 20 ans l’étoile, puis vient le voyage de retour et la découverte de la Terre et des humains 2000 ans plus tard. C’est cette rencontre qui s’apparente au final le plus à un premier contact.  Le roman s’organise comme une succession de vignettes que séparent parfois plusieurs dizaines d’années. Chaque chapitre est raconté du point de vue subjectif d’un narrateur qui conte le déroulement des événements dont il est le témoin. A la manière d’Adrian Tchaikovsky dans Children of Time, on va retrouver des noms de personnages que l’on connait depuis le début du roman, sachant qu’un clone n’est jamais qu’une copie génétique mais pas l’original, et que les choses évoluent au sein de Noumenon. Choisies avant le départ pour une prétendue prédisposition génétique à exceller dans certains domaines, les lignées de clones vont évoluer au fur et à mesure des générations et l’organisation même de la mission va se confronter au libre arbitre. Certaines lignées seront même suspendues. La perspective individuelle permet d’exposer le côté humain du voyage (et au delà, car l’IA de Noumenon sera aussi l’un des narrateurs). De plus, ce choix narratif préserve intact l’intérêt et la dynamique du récit. Le roman embarque ainsi le lecteur dans une épopée qui s’étale de 2088 à 4574 avec un épilogue qui annonce la suite, Noumenon Infinity.

Comme je le disais en introduction, Noumenon est un roman de SF classique, voire old school, qui repose sur des thématiques usées jusqu’à la trame et ne révolutionne pas le genre. Pourtant il arrive à proposer un récit qui retient l’intérêt. C’est une sorte de grande compilation d’idées déjà testées ailleurs et ici réunies sous un seul titre. En cela, je trouve que ce roman fonctionne bien. C’est de la SF plaisante, simple, qui va au bout de son idée de départ. Avec pour message le voyage vers l’ailleurs comme destinée humaine. Le principal problème de ce roman est qu’il est sérieusement pompé sur Aurora de Kim Stanley Robinson, mais n’arrive pas à la cheville de son modèle. Autant lire KSR, évidemment. D’autant que le deuxième tome, Noumenon infinity, est très mauvais.


Titre : Noumenon
Série : Noumenon (1/2)
Auteure : Marina J. Lostetter
Publication : Août 2017 chez Harper Voyage
Langue : anglais
Nombre de pages : 432
Format : papier et ebook


10 réflexions sur “Noumenon – Marina J. Lostetter

  1. Très intéressant. Lorsque ce tome 1 est sorti, je l’avais écarté parce que j’avais vu des retours négatifs je ne sais plus où, mais vu ce que tu en dis (et la confiance absolue que j’ai envers ton jugement), ça a toutes les chances de me plaire. Je vais essayer de lui trouver une place dans le programme (enfin, avant 2022, je veux dire), ce qui va probablement me prendre la prochaine demi-heure. Je ne sais pas si je dois te remercier 😀

    Aimé par 1 personne

    1. Un lecteur comme toi y verra inévitablement tous les défauts, c’est à dire essentiellement le manque d’originalité et les fortes inspirations. Mais un lecteur n’ayant pas une culture encyclopédique du sujet y trouvera une lecture tout à fait satisfaisante.

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.