The Fated Sky – Mary Robinette Kowal

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La duologie The Calculating Stars et The Fated Sky de Mary Robinette Kowal donne à lire une histoire alternative de l’exploration spatiale de 1952 à 1962. The Calculating Stars débutait le 3 Mars 1952 lorsqu’une météorite tombe sur la Terre et détruit la côte Est Américaine. Les conséquences à long terme sur le climat signifient potentiellement la disparition de toute vie sur la planète. L’humanité prend conscience de la précarité de sa situation et les Nations Unies lancent un programme d’exploration spatiale accélérée, l’International Aerospace Coalition (IAC), avec pour but ultime la possible installation de colonies humaines sur d’autres planètes du système solaire. Le livre se terminait en 1958 avec les premiers pas de l’homme sur la Lune. En se basant sur des éléments historiques établis, notamment le rôle des femmes dans les avancées scientifiques réalisées par la NASA dans les années 50, Mary Robinette Kowal proposait une uchronie très réaliste centrée autour d’un narrateur et personnage principal, la première femme astronaute Elma York. La précision scientifique de l’approche de l’auteur donnait un caractère hard-SF des plus appréciables au roman. Il proposait en outre une version positive et optimiste dans laquelle les difficultés se résolvaient, les barrières étaient abattues, et le roman avait un côté feel good. C’est bien aussi parfois en SF d’avoir un roman positif, au milieu de toutes les dystopies qu’on nous propose.

The Fated Sky se déroule 3 ans après The Calculating Stars et trente ans avant la nouvelle The Lady Astronaut of Mars. Face aux promesses de ces deux titres, mes attentes ont été déçues dans ce second tome. Je m’explique.

L’histoire

En 1961, une petite base humaine permanente est installée sur la Lune. Quelque 50 personnes y résident en permanence et près de 300 scientifiques y viennent et en repartent régulièrement. Elma York est pilote d’une navette de transport assurant le convoyage de ces hommes et femmes jusqu’à la base lunaire. La prochaine étape est Mars. Kowal s’appuie ici encore sur des éléments historiques. Dès les années 50, la NACA (ancêtre de la NASA) et l’URSS développaient un programme d’exploration martienne, notamment sous l’influence des travaux de Wernher von Braun, inventeur des fusées V1 et V2 allemandes, qui avait été recruté par les américains après la seconde guerre mondiale. Un groupe d’astronautes est créé en vue de la première mission martienne habitée. Von Braum a quant à lui été écarté du récit de Kowal.

Parallèlement, l’économie mondiale est en pleine récession, le climat se dérègle, la production agricole s’effondre. La contestation sociale commence à prendre de l’ampleur. Les effets les plus spectaculaires du changement climatique tardant à se faire sentir, malgré les problèmes qui s’accumulent, beaucoup oublient rapidement que la mission première de l’exploration spatiale est d’offrir à l’humanité un possible échappatoire. Nombreux sont ceux, dont des hommes politiques, qui questionnent la pertinence d’investissements massifs vers l’espace alors que les vrais problèmes sont sur Terre. Certains groupes extrémistes se nourrissent du désespoir des laissés pour compte. Un groupe en particulier va se distinguer, Earth First. Un petit groupe d’hommes va momentanément prendre en otage les astronautes de retour sur Terre. Cela va être l’occasion pour Elma de se distinguer en faisant preuve d’un certain héroïsme. Le problème est que tous les hommes de ce groupe sont des Noirs, membres de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People). Les suspicions sur une éventuelle complicité au sein de l’IAC vont alors réveiller le racisme déjà bien présent dans cette Amérique du début des années 60, et être la source de tensions grandissantes au sein du groupe d’astronautes.

Devant la nécessité de redorer son image et de convaincre les décideurs d’allouer les crédits nécessaires, la NASA va débarquer une calculatrice du groupe d’astronautes martiens et la remplacer par Elma, afin d’utiliser son image médiatique. Afin de protéger les membres de couleur du groupe, l’IAC va choisir de déplacer les entrainements vers la station spatiale en orbite, là où le FBI n’a pas juridiction. De fortes tensions raciales apparaissent tout de même au sein du groupe. La mission martienne est lancée en Décembre 1961. Trois vaisseaux partent (nommés en référence aux navires de Christophe Colomb) : le Pinta à bord duquel se trouve Elma York et le commandant Stetson Parker, le Niña qui emporte un second groupe, et le Santa Maria qui est uniquement un vaisseau de transport de matériel.

Les deux tiers du livre racontent le long voyage  jusqu’à l’arrivée sur le sol martien dans le tout dernier chapitre. Les chapitres successifs racontent les différents problèmes humains et matériels qui vont émailler le voyage des astronautes, jusqu’au drame. Comme pour le premier livre, l’histoire est entièrement racontée du point de vue d’Elma, qui continue de combattre ses propres démons, tente d’apaiser les tensions mais s’y prend généralement très mal, et gère comme elle le peut ses problèmes d’angoisse et le ressentiment de ses collègues qui se sont vu imposer sa présence. Le sujet moteur du roman étant les personnages et les interactions humaines dans le cadre d’un huis-clos spatial, de nombreuses thématiques sociales sont abordées à travers Elma. Si l’accent était mis principalement sur le sexisme de l’époque dans le premier tome, c’est le racisme qui est ici le thème dominant. Les membres de couleur de l’équipage sont systématiquement écartés des tâches importantes, jusqu’à ce que, poussé par les événements, le commandant de la mission fasse un choix.

Le fond

The Calculating Stars était remarquable, malgré quelques défauts qui pointaient mais qui ici deviennent malheureusement dominants. Le côté hard-SF qui m’avait séduit dans le premier roman disparaît presque totalement au profit de l’aspect uniquement social de l’histoire. J’avais trouvé l’approche de Kowal assez fine et le ton juste dans The Calculating Stars, car le côté critique sociale était pleinement inscrit dans un récit, une histoire de conquête spatiale. Le deux aspects se nourrissaient l’un l’autre. Dans The Fated Sky, l’auteure fait en grande partie l’impasse sur  l’aventure technique que représente une mission vers Mars. Kowal centre son roman sur le côté humain de l’aventure, et le côté feel good du premier tome fait place à une vision plus déprimante et conflictuelle des relations humaines. Feel pas trop beaucoup good pour le coup. Notamment, la question centrale est celle des tensions raciales. Quand bien même l’histoire se déroule dans le contexte des années 60, Kowal s’adresse évidemment à un lectorat contemporain, et le livre est très actuel dans son approche de la question.  Il y a des discours qui sont nécessaires encore en 2018, et ce roman contient de ce point de vue de très bons moments, parfois assez fins dans l’approche (comme cette scène où l’un des afro-américains de l’équipage fait comprendre à Elma qu’elle n’a pas à lui expliquer l’expérience qu’il vit au quotidien quand bien même elle souhaite bien faire). Mais à trop insister, Kowal grossit le trait jusqu’à la caricature, notamment sur le rôle du méchant raciste du groupe (elle ne va pas se faire que des amis en Afrique du Sud). Ce personnage a des allures d’épouvantail en décalage violent avec le reste du casting. L’équilibre présent dans le premier tome est ici brisé et la critique sociale devient le récit au détriment de l’histoire spatiale. Les deux aspects ne s’entretiennent plus l’un l’autre. Rapidement le sujet du livre n’est plus la mission.  Exit la conquête de l’espace pour la conquête des droits civiques. C’est un choix que de nombreux lecteurs trouveront certainement justifié et nécessaire, mais pour moi le roman est incomplet et déséquilibré. En ce qui concerne le reste du casting, d’autres personnages, comme le commandant Stetson Parker dont nous avions fait la connaissance dans le premier tome et qui s’opposait à Elma, vont se révéler nettement plus sympathiques et intéressants qu’ils ne le semblaient de prime abord. A l’opposé, c’est le personnage d’Elma qui perd de sa superbe et commence à tourner en rond dans ses névroses, devenant de par là même agaçante.

La forme

La construction du roman me pose problème. La mission est marquée par une série d’incidents, comme on peut s’y attendre dans ce type d’histoire. Cela constitue d’ailleurs un aspect réussi du roman car le vol spatial est montré sous un aspect très éloigné de l’image lisse et propre à laquelle la SF nous habitue parfois un peu trop.  Mon souci est que les chapitres égrainent une série de problèmes et leurs résolutions les uns après les autres. Le roman suit un schéma très mécanique qui laisse peu de place à la surprise. D’un point de vue technique d’écriture, Kowal applique le système MICE d’Orson Scott Card à la lettre. Chaque chapitre est une mini-histoire imbriquée dans la grande, ouvre une nouvelle porte et la referme. Si la lecture du scénario est fluide, la transparence de la construction entraîne inévitablement une certaine lassitude. D’autant que le problème d’un huis-clos est qu’il interdit l’apport d’éléments extérieurs pour alimenter l’histoire. L’équipage perdra d’ailleurs le contact avec la Terre pendant un bon moment. Cela aurait pu être une source de tension mais, au contraire, cela enferme un peu plus le scénario sur lui-même. Le huis-clos spatial est un genre éprouvé et qui fonctionne, mais il faut pour cela qu’il y ait au cœur de l’histoire un élément extérieur aux personnages qui va constituer un moteur puissant (pensez au film Alien par exemple, ou au roman Vision Aveugle de Peter Watts). Ici le seul moteur du roman est un équipage  improbable constitué de personnalités antagonistes et dont on se demande bien comment il a pu être aussi mal assemblé. Les agences spatiales russes et américaines ont conduit dès les années 60 des tests d’isolement pour déterminer les effets psychologiques des missions longues durées. Ils savent ainsi depuis toujours que la composition des équipes est un facteur déterminant dans la réussite ou l’échec d’une mission. Autrement dit, les antagonismes sur lesquels repose toute la dynamique du roman de Kowal ne sont pas vraisemblables dans ce cadre. Et moi ça me gêne dans une uchronie qui se veut réaliste.

La toute dernière partie du livre reprend du nerf, et ramène l’action vers la mission spatiale, une fois les conflits personnels mis de côté, sans explication vraiment convaincante par ailleurs,  mais seulement parce que le commandant décide que maintenant ça suffit. C’est du commodore ex-machina. Après ce réveil, malheureusement,  la fin est expédiée et assez frustrante. On arrive sur Mars et pis c’est tout. A moins qu’il y ait une suite à ce roman, nous n’aurons pas le récit de la colonisation de la planète, qui me semblait être la promesse faite par la nouvelle The Lady Astronaut of Mars.

Je finis donc ma lecture de la duologie The Calculating Stars/The Fated Sky par un bilan en demi-teinte.  J’avais beaucoup aimé The Calculating Stars. Pour moi, The Fated Sky souffre de la comparaison. J’attendais une épopée martienne, je ne l’ai pas eu. Ce sera toutefois à n’en pas douter un gros succès de vente. Le premier tirage du second tome était épuisé aux US deux semaines avant même sa date de sortie officielle.


Voir aussi l’avis d’Apophis, De livres en livres,


Livre : The Fated Sky
Série : The Lady Astronaut (2/2)
Auteur : Mary Robinette Kowal
Publication : 21 Août 2018 chez Tor Books
Langue : Anglais
Nombre de pages : 384
Format ; papier et ebook


16 réflexions sur “The Fated Sky – Mary Robinette Kowal

  1. Arf, dommage. Personnellement que le côté humain soit devant le côté hard-sf ne me dérange pas plus que cela sur le principe. Par contre les défauts que tu en donnes donnent peu envie… =/

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    1. Pour tout dire, mon impression est que ce second tome a été écrit rapidement et qu’il a été bâclé. On dirait que l’auteure n’a pas eu le temps de le travailler autant que le premier tome. Je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est l’impression que cela donne.

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  2. Bah!bah!bah!
    Que je suis déçue de ton retour sur le deuxième tome. The Lady Astronaute était si prometteur et ton retour sur Calculating stars si enthousiasmant… C’est vrai que je m’attendais vraiment à une deuxième partie sur la colonisation de Mars, comme la nouvelle laisse cette belle ouverture.

    Pour le coup, me voila bien indécise, car lire le premier tome sans le second, c’est pas top… Non, tu ne me rends pas service! Orion, je peux me consoler sur ton épaule ? ( ;- )

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    1. Je reste persuadé qu’on peut très bien lire le premier, que j’ai beaucoup aimé comme tu le sais, sans lire le second. Il n’y manque rien, c’est une histoire complète. Le second n’est qu’une suite quelques années plus tard mais n’apporte rien au premier tome. C’est comme lire 2001 l’Odyssée sans lire 2010.

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