Guns of the Dawn – Adrian Tchaikovsky

guns

Avec la lecture de Guns of the Dawn, je poursuis mon exploration du volet fantasy de l’oeuvre d’Adrian Tchaikovsky avec un livre qui a remporté une certaine unanimité auprès des quelques chroniqueurs qui l’ont récemment lu.

Les écrits d’Adrian Tchaikovsky dans le domaine de la fantasy se regroupent principalement dans deux séries :  Shadow of the Apt, 10 volumes publiés entre 2008 et 2014, et Echoes of the Fall, 3 volumes entre 2016 et 2018. Cette dernière, dont j’ai récemment lu le premier volume, The Tiger and the Wolf, s’adresse plus particulièrement à un lectorat Young Adult.

Ce n’est pas le cas de Guns of the Dawn, roman de Flintlock Fantasy, une fantasy à poudre où l’époque et le niveau technologique sont d’inspiration napoléonienne, publié en 2015 comme roman indépendant.

Et quel roman !

I killed my first man today…

Le livre s’ouvre sur un violent accrochage au milieu des marais, sous une chaleur de plomb, alors que sifflent les balles des mousquets et que tombent les corps d’un côté et de l’autre. C’est le premier contact avec l’ennemi pour l’Ensign Emily Marshwic sur le front du Levant. (Ensign était dans l’armée anglaise jusqu’en 1871 un grade d’officier subalterne, correspond à sous-lieutenant. Il est ici utilisé comme grade entre simple soldat et sergent, ce qui en fait un équivalent de caporal.)

Flashback

The world had gone mad three years before, when revolution came to Denland.

Lascanne et le Denland sont deux royaumes voisins, alliés depuis des générations. Mais lorsqu’une révolution renverse la royauté au Denland et que celui-ci devient une république, Lascanne n’a d’autre choix que d’entrer en guerre pour défendre ses frontières, son roi et son mode de vie. Deux fronts s’ouvrent : le premier, au Couchant, se déroule sur les plaines ouvertes et est le terrain de la cavalerie et des canons; le second, au Levant, se joue au corps à corps, mousquet à la main et couteau entre les dents, dans les zones marécageuses qui bordent la mer à l’est du pays. Les premiers soldats embarquent à bord des trains à vapeur pour rejoindre ces deux fronts et y livrer une guerre rapide et décisive contre un ennemi qui parait bien faible face aux glorieuses forces armées de Lascanne.

Mais le conflit s’enlise et dure. Les premiers soldats ne reviennent pas, bien que la victoire n’ait jamais été aussi proche. Les premiers circonscrits partent à leur tour. Un homme de chaque famille. Puis les seconds, jeunes de plus de 15 ans. Emily est une des trois filles de la famille Marshwic, famille de petite noblesse, depuis des générations fidèles serviteurs du roi de Lascanne. Elle a vu tour à tour son beau frère, Tubal, puis son jeune frère, Rodric, partir au front et ne pas revenir. Emily gère la maison,  le domaine de Grammaine, ses deux sœurs Marie, l’aînée mariée à Tubal et mère d’un jeune enfant, et la jeune et inconséquente cadette Alice, les quelques serviteurs qui sont encore au domaine, ainsi que les relations tumultueuses avec le gouverneur de la ville et ennemi de la famille Marshwic, le cynique Mr Northway. Ce dernier, politicien opportuniste sans envergure, est plus ou moins responsable des déboires financiers de la famille, qui ont amené au suicide du père des trois filles. Cette partie du roman, de près de 200 pages, construit le personnage d’Emily. Comme noté par d’autres chroniqueurs, il y a là un fort parfum d’Autant en emporte le vent, et la relation entre Emily et Mr Northway s’inspire de celle entre Scarlett O’Hara et Rhett Butler (si ce n’est qu’Emily est un personnage nettement plus sympathique que Miss O’Hara). Par contre, si certains ont trouvé des longueurs dans cette partie du livre, ce n’est pas mon cas. Je trouve qu’au contraire elle équilibre parfaitement le reste du roman, que le rythme est le bon. Car ensuite ça chauffe.

Le front

La guerre n’en finit pas d’être gagnée, les hommes sont tous partis, et c’est maintenant au tour des femmes d’être appelées à défendre le royaume. Une par maison. Ne voulant pas sacrifier une jeune servante, mais surtout dans l’espoir de retrouver Rodric et Tubal, Emily choisit de partir au front. Plus encore, elle choisit le terrible Levant.

They were split into classes of forty or so and put to work learning their geography and history, their ranks and uniform, taking care of kit, basic medecine and the elegant business of taking a life with a gun.

Les deux tiers suivants du roman sont consacrés à la formation militaire, courte, d’Emily, puis son arrivée au front, et la brutalité des relations avec les soldats qui ne voient pas d’un bon œil, ou alors du mauvais, l’arrivée de femmes parmi eux, une certaine ineptie de la hiérarchie militaire, mais aussi les amitiés qui se forment dans ces conditions de survie extrêmes, et bien sûr la folie des combats menés dans l’enfer des marais où l’on étouffe sous la chaleur, et où l’on ne perçoit l’ennemi à travers la brume qu’à quelques mètres. La description de ce front par Adrian Tchaikovsky est absolument magistrale et très immersive. Chacun reliera cette ambiance si singulière à telle bataille historique ou telle fiction guerrière. Pour ma part, j’y lis une presque parfaite retranscription de la désastreuse campagne de Vickburg durant la guerre de sécession américaine, et plus particulièrement de la bataille de Chikasaw Bayou dans le delta du Mississippi.

Un monde en mutation

L’aspect fantasy de Guns of the Dawn n’est que très secondaire. Mise à part l’existence d’une race étrange d’autochtones dans les marais, il est présent sous la forme d’un pouvoir de magie, accordé par le roi à ses sorciers (warlocks), capables de déchaîner le feu sur le front ennemi durant les batailles. Son rôle n’est pas de pimenter le récit des batailles, car finalement nous n’assisterons qu’à très peu de scènes de pyrotechnie au cours du livre. Il est plutôt de dessiner un monde en mutation.  Sur le front, les warlocks deviennent rapidement la cible des tirs ennemis et se font décimer aussi rapidement que la galinette cendrée à l’ouverture de la chasse. Tout flambant qu’il soit, un magicien fait pâle figure face à une volée de balles de mousquets. Le mousquet, lui-même, se révèle rapidement moins efficace que le fusil, tout comme la charge à cheval se révélera inutile face au canon mobile. En cela,  Guns of the Dawn n’est pas un roman de Flintlock Fantasy, c’est au contraire la fin de la flintlock et de la fantasy. C’est l’apparition d’un monde nouveau, basé sur la rationalité et le génie de l’ingénierie, jusqu’à l’horreur vers la fin du roman, où sont évoqués les camps d’extermination.

Une histoire de personne

Plus qu’un récit militaire ou un récit de fantasy, le roman d’Adrian Tchaikovsky est l’histoire de la construction d’une femme qui, coupée de son monde, doit se réinventer, aussi bien physiquement et psychologiquement qu’amoureusement.

It’s not war that’s hard, but life.

Pendant toute la période consacrée à la guerre d’Emily, nous assistons à sa lente transformation, depuis la fille de bonne famille qui rougit au bal, jusqu’à l’héroïne de guerre. Si la description du front est immersive, la caractérisation des personnages du roman l’est également. Celle d’Emily, personnage central du roman, bien sûr, mais aussi celle des personnages secondaires. Le Club des Survivants, où quelques personnages, dont Emily, retrouvent un semblant d’humanité entre deux boucheries guerrières, joue un rôle primordial dans cette construction, tout comme les échanges épistolaires entre Emily et Northway, dont les extraits ouvrent chaque chapitre.

Puis, après la guerre, le retour à Grammaine, dans la toute fin du roman. Emily va se trouver en situation de changer radicalement le monde qu’elle a connu. Et quel final !

Quel que soit l’aspect sous lequel on le considère, celui d’une guerre absurde et de la propagande qui entoure ce genre d’activité humaine, celui de la transformation d’un monde qui voit ses valeurs brutalement remplacées par d’autres, ou celui du destin extraordinaire d’une femme, Guns of the Dawn est un roman absolument brillant. Adrian Tchaikovsky est pour moi l’une des révélations de cette décennie en SFFF.

Voir aussi les avis d’Apophis, Lutin sur l’Albédo, et Lianne sur De livres en livres.


Livre : Guns of the Dawn
Auteur : Adrian Tchaikovsky
Publication : 2015 (Tor)
Langue : Anglais
Traduction : pas encore
Nombre de pages : 673


12 réflexions sur “Guns of the Dawn – Adrian Tchaikovsky

  1. Ah! Quelle critique!!
    Je suis et tu le sais complétement d’accord avec toi. J’ai aussi bien aimé la première partie qui équilibre vraiment bien l’ensemble du roman. La seule longueur que j’y trouve se situe dans les premiers temps de l’apprentissage militaire (mais sans doute mon expérince passée y est pour quelque chose).
    ET je suis ravie de noter que les marais te font également penser aux baitalles dans les bayous lors de la guerre de sécession.
    Et quelle femme! Bien plus sympa que Scarlett!

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