Sturgeon 2018 : Zen and the Art of Starship Maintenance – Tobias S. Buckell

black hole starship

Après la nouvelle The discrete charm of the Turing Machine de Greg Egan, je continue dans cet article mon exploration de la liste des textes courts nommés pour le prix Theodore Sturgeon 2018. De Tobias S. Buckell, je n’avais lu jusqu’ici que la nouvelle The Mighty Slinger coécrite avec Karen Lord et publiée dans le recueil Bridging Infinity. J’avais été très impressionné par le texte qui était pour moi l’un des meilleurs du recueil. Cet enthousiasme est totalement confirmé, voire largement surpassé, avec Zen and the Art of Starship Maintenance qui est un texte court mais très dense en concepts de haute volée. Le texte a été publié en Février 2018 dans le numéro 93 de la revue Lightspeed. Cette nouvelle est une pièce d’orfèvre pour tout lecteur de SF avancé. Par contre, c’est du haut niveau de hard-SF qui réclame d’avoir lu pas mal de SF moderne en amont et risquera de laisser sur le bord de la route le lecteur novice qui ne comprendra rien à ce qu’on lui raconte. On y parle de trou noir, de dilatation du temps, d’intelligences téléchargées, de posthumanisme, d’arche interstellaire, d’habitats spatiaux, de singularité, enfin de tout l’arsenal de la SF du 21e siècle. Le texte n’explique jamais les concepts auxquels il fait appel. Il faut donc en être familier a priori.

Le titre de la nouvelle fait référence au livre Zen and the art of Motorcycle Maintenance: an in quiry into Values, bestseller de Robert M. Pirsig publié en 1974 et qui mêle allègrement voyage à moto à travers les USA, philosophie présocratique et valeurs Zen. Le message principal du livre est que pour réellement faire l’expérience de la qualité, il faut être dans le moment et embrasser pleinement les conditions requises par la situation présente. C’est exactement sur ce thème que Zen and the Art of Starship Maintenance va s’amuser à nous embarquer.

Give me a ship to sail and a quasar to guide it by

Mister_Handy

Le narrateur, appelons-le ainsi puisque l’histoire est racontée à la première personne et qu’il n’a de toute façon pas de nom, juste une adresse fixe, est un robot de maintenance à bord du vaisseau With All Sincerity. Ce vaisseau est une arche, composée de trois anneaux habitats regroupant des milliards d’individus sous différentes formes, organiques ou artificielles. Le With All Sincerity vient de remporter une bataille en défaisant durant 700 secondes de pure terreur la flotte de l’Honest Representation, et s’approche du monde de Purth-Anaget qui orbite autour d’un trou noir pour y livrer les ennemis rescapés de la bataille qui y trouveront refuge. Ce sont deux visions de l’existence qui s’affrontent ici. D’un côté les victorieux du With All Sincerity qui défendent leur droit à l’autodétermination, comprenez le droit de vivre sous la forme qu’ils souhaitent, et de l’autre, l’ennemi, les défenseurs de la Seule Forme Véritable, c’est à dire la forme humaine organique uniquement. Le narrateur a laissé derrière lui la vie organique il y a 150 ans, pour voir son intelligence transférée dans un corps robotique. Il a ainsi abandonné son libre arbitre pour gagner l’immortalité et la possibilité de voyager à travers la galaxie à des vitesses proches (mais inférieures) à celle de la lumière. Vous pouvez prendre une grande respiration, ce n’est que le début.

Name? It has no name. What does it need a name for?
It has a unique address. It is a unique mind. The thoughts and things it says.

Etant un robot, il est soumis à des lois incontournables qui, sans être nommées mais on le devine, sont plus ou moins les lois d’Asimov. Alors qu’il entame l’inspection des débris de la flotte ennemie, il tombe sur un humain, un Chief Executive Officer (CEO)  ennemi, un « formiste ». Celui-ci lui ordonne de l’aider. Pris dans les contradictions des lois qui régissent son comportement, il ne peut refuser de sauver la vie de ce CEO, personnage important s’il en est. Il va donc se mettre en danger vis à vis de sa propre hiérarchie afin de venir en aide à cet ennemi. D’autant que celui-ci va lui faire une proposition qu’il ne peut refuser. Tout l’intérêt de la nouvelle va reposer sur la manière de respecter, tout en les contournant, les règles auxquelles il est soumis et tenter de tirer au mieux profit de la situation. Il y a notamment quelques discussions joliment tordues avec d’autres entités auprès desquelles il va chercher conseil. Tout ce petit monde d’intelligences artificielles ou transférées ne cesse de chercher des justifications à la meilleure manière de transgresser les lois. Cela va aboutir à un final des plus savoureux.

J’ai adoré cette nouvelle qui est un condensé de tout ce que j’aime en SF et qui n’aborde que des thèmes purement SF sans faire de compromis. Du grand art.

Le texte est accessible gratuitement en ligne.


Gromovar lui aussi a aimé.


8 réflexions sur “Sturgeon 2018 : Zen and the Art of Starship Maintenance – Tobias S. Buckell

  1. Merci pour ta critique, c’est exactement ce que je recherche et ce que j’aime (mais je pense que toi, Apophis ou moi avons sensiblement les mêmes goûts en matière de hard-SF).

    J’ai peut-être manqué d’attention, mais où peut-on trouver ces textes?

    Aimé par 1 personne

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