Dogs of War (Chiens de guerre) – Adrian Tchaikovsky

dogs of war

My name is Rex. I am a Good Dog.

Récemment, en répondant sur mon fil Twitter, Adrian Tchaikovsky inscrivait avec humour son roman Dans la Toile du Temps (Children of Time) dans le genre « science fiction avec des araignées » (en français dans le texte). Je suppose qu’il faudrait donc dire de Dogs of War qu’il appartient au genre « science fiction avec des chiens ». De mon côté, je préfère l’inscrire dans le genre « smart SF ».  (C’est Apophis qui va être content qu’on lui ruine ainsi sa taxonomie savante de la SFFF). Smart SF parce qu’Adrian Tchaikovsky a tendance à écrire des livres intelligents.

Il disait aussi dans une interview que ce qui l’intéressait le plus dans la SF c’était la part « non humaine ».  Dans Children of Time, il imaginait l’évolution d’araignées sur plusieurs millénaires, et de quelques insectes. La question animale est rarement traitée en SF. Au-delà du bestiaire fantastique à la Star Wars qui peuple parfois le décor, l’évolution animale est la grande absente des textes d’anticipation. Il existe cependant un pendant au transhumanisme ou à la singularité technologique et qu’on nomme la provolution ou uplift en anglais. La provolution est l’évolution artificielle d’un animal provoquée par un agent extérieur, en général l’humain. L’idée n’est pas neuve et date du roman L’île du Docteur Moreau (1896) de H.G Wells. On la retrouve plus tard dans Demain Les Chiens (1952) de Clifford D. Simak,  dans la série Instrumentality of Mankind de Cordwainer Smith (critique à venir un jour sur ce blog) dans les années 60, et plus récemment dans la série bien nommée Uplift de David Brin. Le sujet  mériterait un article à lui seul. Mais revenons pour le moment à nos… chiens.

Dogs of War est un roman sur la provolution et Rex est un bon chien. Rex est aussi une arme de guerre. Un peu plus de 2 m à l’épaule, doté de mains mais aussi à l’aise debout qu’à quatre pattes, d’une peau particulièrement résistante aux balles, d’une musculature lui fournissant une force très supérieure à celle des humains ainsi qu’une vitesse de déplacement plus élevée, il est aussi équipé d’implants cybernétiques de communication et d’une base de données dans sa tête de bouledogue. Il possède en outre une puce de rétroaction qui le félicite (« Bon chien ») ou le réprimande (« Mauvais chien »). Cette puce est sa laisse. On est là dans le transanimalisme cyberpunk. Rex est aussi leader. Il commande une escouade multiforme composée de Honey, une ourse aux dimensions impressionnantes (haute comme une maison) et, on l’apprendra, d’une intelligence hors norme, de Dragon, un lézard géant possédant une vision et une capacité de camouflage faisant de lui un sniper hors pair, et Bees, une intelligence dispersée à travers une centaine d’abeilles, spécialisée dans la reconnaissance et les communications. (Bees s’avérera le personnage le plus fascinant sur le long terme de par les variations futures qu’elle suggère.) Ils sont des Bioformes.

L’escouade est sous le commandement de Master, un mercenaire travaillant pour une compagnie privée, Redmark, qui défend les intérêts d’industriels américains face à une rébellion générique, les Anarchistas, au Mexique. Les deux premiers chapitres du livre relèvent de la SF militaire, avec son lot d’atrocités, de crimes contre l’humanité, jusqu’à ce que l’escouade se retrouve coupée de Master, et découvre une certaine liberté d’action, ce qui ne se fait pas sans mal dans la tête de Rex. (« Putain ça fait mal d’avoir des idées quand on est un animal », chantaient les punks toulousains d’OTH en 1984 sur le titre Interdit aux Chiens). Prendre des décisions est le prix à payer pour la liberté, écrit Adrian Tchaikovsky. Rex va devoir se découvrir et se réaliser.

I was made to be a weapon but I have lived a life. I was born an animal, they made me into a soldier and treated me as a thing. …Servant and slave, leader and follower, I tell myself I have been a Good Dog. Nobody else can decide that for me.

On aurait presque pu en rester là. Mais le roman va prendre une autre direction et s’envoler vers les hauteurs de la hard-SF pour explorer les implications sociales, légales et morales de l’existence de Rex.  Ainsi que sa dépendance à son origine, celle d’un être créé pour obéir à Master. Il n’y est pas question uniquement de chiens, mais de diverses espèces, de formes d’intelligence, d’organisations sociales, et au final des humains et des intelligences artificielles.  Le coup de génie d’Adrian Tchaikovsky est de proposer un avenir dans les biotechnologies qui, au lieu de réinventer la roue, prend en compte le fait que l’ingénierie humaine ne saurait entrer en compétition avec des millions d’années d’évolution. Que l’humanité y soit prête ou pas. Et c’est là tout le débat.  Les thématiques abordées sont justes, et les réflexions judicieuses, que ce soit du point de vue de l’éthique ou des développements à venir.

Rex reste au centre du récit. Le roman est raconté à plusieurs voix, suivant une alternance des points de vue. Mais pour une scène sur deux, c’est la voix de Rex qui est donnée à entendre. On le voit évoluer lentement, s’ouvrir et penser, d’abord de façon limitée, puis de plus en plus libre. A chaque nouvelle étape, il sera amener à affronter ses démons et à faire des choix. Dans la dernière partie, une nouvelle voix alterne avec celle de Rex. Nous lisons en parallèle la réalité du présent de Rex, et, par l’autre voix, un futur imaginé, espéré, rêvé. Ce jeu d’ombre et de lumière est de toute beauté et à la fin, on pleure.

Avec Dogs of War, Adrian Tchaikovsky propose à nouveau un excellent roman de SF. Denoël en a acquis les droits et sortira une version en français dans la collection Lunes d’Encre le 3 Octobre 2019. Il semblerait que Denoël  ait décidé de suivre cet auteur de près, et on ne peut que s’en réjouir.


D’autres chroniqueurs ont un avis. Il y a ceux qui ont aimé : Apophis (VO), RefletSF (VO),  Aelinel, Lorhkan, Xapur, Canal Hurlant, Le Chroniqueur, Le chien critique, Le monde d’Elhyandra, L’imaginaerum de symphonie.  Et ceux qui ont modérément, voire pas, aimé : Ombre bones (VF),


  • Livre : Dogs of War
  • Série : Dogs of War #1
  • Auteur : Adrian Tchaikovsky
  • Publication : 2017
  • Langue : Anglais
  • Traduction : Henry-Luc Planchat, sous le titre Chiens de Guerre (2019, Denoël, coll. Lunes d’encre)
  • Nombre de pages : 262
  • Format : papier et ebook

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