Le Poumon Vert – Ian R. MacLeod

le poumon vert

Court roman traduit et publié dans la collection Une Heure Lumière en 2017, Le Poumon Vert de Ian R. MacLeod fut à l’origine publié sous le titre Breathmoss en 2002 et a été élu meilleur court roman de l’année 2003 par les lecteurs de la revue américaine Isaac Asimov’s Science Fiction Magazine. Comme à chaque sortie dans cette jeune collection, de nombreux amis blogueurs se sont jetés sur l’ouvrage tels des loups affamés (c’est un des effets secondaires de la SF, on a toujours faim, alors que les éditeurs français nous rationnent cruellement) et ont chroniqué le livre. De mon côté, j’ai fait une valse lente, j’ai patienté et lu les avis divergents à son sujet. De ces avis, j’avais acquis la conviction que je ne porterais que très peu d’intérêt à ce récit dit contemplatif, voire ennuyant. Deux qualités que je ne recherche ni en SF ni ailleurs. En fait, j’ai adoré.

Les raisons pour lesquelles je lis de la SF sont multiples, mais avant tout je souhaite qu’elle m’emmène ailleurs. Me plonge dans un inconnu. Le Poumon Vert accomplit cela de deux manières.

À la façon d’un planet opera, le roman transporte le lecteur sur une planète étrangère, Habara avec ses lunes jumelles et son unique continent, et le met au contact de ses habitants. À la façon de Dune de Frank Herbert, roman auquel il est difficile de ne pas le comparer tant des similitudes apparaissent au cours de la lecture, les habitants d’Habara ont développé une symbiose avec leur planète, son climat, ses particularismes. Cela relève d’une évidence, mais il y a tant de romans de SF dans lesquelles l’Humanité occupe une planète autre que la Terre et qui ne font pas l’effort de penser la question de l’adaptation aux écosystèmes locaux, forcément différents de la planète mère, qu’il me semble approprié de le noter dans ce roman. Habara possède un temps et une géographie propre. La planète existe dans un univers de Dix Mille et Une planètes, habitées par des humains, et d’autres espèces. Les déplacements au sein de cet univers, nous y reviendrons, se font à l’aide de Portails.

Il existait des Portails, elle l’avait toujours su, Portails qui seuls permettaient de circuler entre les étoiles.

La culture des habitantes de Haraba est profondément étrangère à la nôtre. Elle a son langage, ses mœurs, ses coutumes, sa religion, ses pratiques. Ian R. MacLeod a fait le choix d’une culture très inspirée de l’islam. De nombreux termes, voire des prières s’y rapportent. Là encore, le parallèle est inévitable avec les Fremens de Frank Herbert. Mais dans Le Poumon Vert, c’est une culture entièrement féminine. La société est organisée en cellule familiale de plusieurs épouses, les haremlek. La sexualité est féminine, la reproduction est assurée par mélange génétique des différentes épouses avec une gestation en matrice artificielle ou parfois, mais rarement, naturellement. Les hommes en sont absents. Pas totalement, car le roman en fait intervenir deux. Un fils, Kalak, et son père, Ibra. Mais ils sont considérés comme étrangers et étranges.

Franchement, elle trouvait difficile de déterminer ce qui , chez lui, relevait de son étrange identité sexuelle ou de sa personnalité.

Il faut noter là la traduction phénoménale de Michelle Charrier qui a renversé la grammaire en la féminisant complètement. Cela relève forcément d’un choix de traduction, car l’équivalent est impossible à produire en anglais, et c’est franchement un coup de génie. Cet aspect-là, associé à une culture de femmes (relativisons tout de même un peu, le roman a été écrit par un homme), m’a fourni un sentiment d’étrangeté délicieux. Jusqu’aux dernières pages du livre il m’a fallu faire un effort, quasiment de traduction inverse, pour faire sens d’un français exprimé au féminin. Cela montre à quel point notre culture et notre langue sont marquées par la prédominance du masculin. J’ai trouvé l’expérience extraordinaire et très enrichissante du point de vue de la perception du genre.

Le Poumon Vert raconte la jeunesse de Jalila, depuis ses douze ans et le jour où elle a quitté avec ses mères les hauts plateaux de Tabuthal pour aller s’installer dans la petite ville côtière d’Al Janb. C’est un nouveau monde qu’elle découvre.

Ici, sur la côte, le monde était imprévisible, comparé à Tabuthal : les marchés, les gens, le linge, le soleil, la pluie, les créatures d’outre-espace.

La petite fille grandit et devient adolescente. Fuyant les mesquineries sexuelles des filles de son âge, elle se prend d’amitié pour Kalal, un homme. Elle vivra son premier amour éphémère avec une autre jeune femme, Nayra. Et Jalila rencontrera une tariqa. Le roman à ce moment rencontre à nouveau Dune. Les tariqas sont l’équivalent féminin des navigateurs de la Guilde dans le roman d’Herbert, avec toute une mystique associée, et une approche quasi-religieuse. On parle d’ailleurs de l’Eglise du Portail. Comme les Navigateurs de la Guilde, les tariqas replient l’espace.

Ian MacLeod et le Bélial nous proposent là un texte d’une grande beauté et d’une magnifique étrangeté. Nous sommes dans une SF humaniste et apaisante. Le Poumon Vert est un livre qui vous rabiboche le lien avec le cosmos.

Je finirai en remarquant que le roman bénéficie de l’une des plus belles couvertures de la collection Une Heure Lumière avec celle de Cérès et Vesta de Greg Egan.


D’autres avis de lecteurs : Just a wordours inculteApophisSamuel ZitermanBlog-O-livre,  Nebal, NevertwhereLorkhan, 233°C, Au pays des Cave Trolls, Audrey Pleynet, L’Imaginarium électrique, Les notes d’Anouchka,


Livre : Le Poumon Vert
Collection : Une Heure Lumière (Le Bélial)
Auteur : Ian MacLeod
Publication : 2017
Langue : Français (traduction de Michelle Charrier)
Nombre de pages : 144
Format : papier et ebook
Prix : Isaac Asimov’s Science Fiction Magazine (2003)


17 réflexions sur “Le Poumon Vert – Ian R. MacLeod

  1. Je ne suis pas une fan de SF – sauf quand on parle de Stargate.. mais c’est pas le sujet. En général, je me perds dans ma lecture, comme ça a été le cas avec Dune, le premier tome. Depuis, j’ose plus toucher à ce genre, qui est sans doute extrêmement bon, mais qui me fait peur. Pourtant, ta chronique me donne envie de faire une nouvelle tentative ! 144 pages, c’est pas grand chose pour découvrir un roman si intriguant, après tout ^-^

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