Latium (1/2) – Romain Lucazeau

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C’est un roman de science-fiction très ambitieux que propose Romain Lucazeau avec Latium.

Un roman de science-fiction ?

Latium se présente comme un space opera post-humanité qui se déroule dans un lointain avenir qui a vu la disparition complète de l’espèce humaine. Pour habiller son univers et planter le décor, Romain Lucazeau multiplie les emprunts, ou les hommages si vous préférez, à quelques grands auteurs du genre. Les Nefs, ces gigantesques vaisseaux qui parcourent l’espace circonscrit du bras d’Orion (quelque 1000 années lumière tout de même), d’une redoutable puissance, dirigée par des intelligences artificielles extrêmement avancées, rappellent furieusement les vaisseaux de la Culture d’Iain Banks et plus particulièrement ceux décrits dans Excession. Le Carcan, ces trois lois qui contraignent les intelligences artificielles vis à vis de l’homme, est un rappel aux trois lois d’Asimov. De la même manière, on peut déceler des références à Vernor Vinge (la race des hommes chiens du Feu sur l’Abîme), à Frank Herbert (l’espace replié pour rendre le voyage instantané dans Dune), à Dan Simmons (le personnage de Plautine rappelle celui d’Enée dans les Cantos d’Hypérion), et bien d’autres que le lecteur amateur saura dénicher. Il ne s’agit pas d’un roman d’anticipation, car l’auteur ne propose pas une description du monde tel qu’il pourrait être à l’avenir puisqu’il s’appuie sur un passé réécrit. Le passé sur lequel se construit l’histoire de Latium n’est pas l’Histoire humaine telle qu’elle s’est déroulée jusqu’à nous mais prend pour point de divergence l’antiquité romaine. On peut alors penser ce roman comme une uchronie, mais aussi en faire une autre lecture (j’y reviendrai). Dans la forme, il s’agit donc bien d’un roman de science-fiction, rondement mené, mais auquel on pourrait reprocher ses nombreux emprunts, s’il en restait là. Mais Latium prend une toute autre dimension.

Une tragédie grecque.

Car Latium n’est un roman de SF que dans la forme. En substance, il s’agit d’une tragédie grecque à la manière de Sophocle ou Eschyle. Frank Herbert avait déjà été puiser dans ce fond avec Dune. Mais là où Herbert écrivait de la science-fiction sous la forme de tragédie antique, Lucazeau écrit une tragédie antique sous forme de science-fiction. Cela se retrouve évidemment dans les noms et notions latines ou grecques, dans les emprunts faits à l’Othon de Corneille dont sont tirés les noms de plusieurs personnages principaux : Plautine, Vinius, Galba, Atticus, et bien sûr Othon qui se rêve empereur. Cela se retrouve surtout dans les thèmes abordés dans le roman. Comme la tragédie grecque, le roman explore le thème principal du libre arbitre confronté au destin auquel les acteurs de la tragédie sont liés. Le Carcan est la main implacable du destin, la volonté des dieux disparus (les hommes). La tragédie qui se joue alors est résumée en une phrase dans le roman :

Les Intelligences névrosées de ce monde pouvaient, inlassablement, justifier de leurs turpitudes en les raccrochant, par une chaîne logique complexe, au Carcan. (p 375).

Là repose le mécanisme du roman. Les Intelligences artificielles qui ont survécu à l’Hécatombe, la grande disparition de l’espèce humaine, se retrouvent à errer dans un univers vide de sens, emprisonnées dans ce Carcan dont elles ne peuvent se libérer, quand bien même la raison du Carcan n’est plus là. A peine peuvent elles défendre le domaine de leurs anciens maîtres face à l’invasion barbare. On peut là lire autrement l’aspect uchronique du roman, car le récit que font les intelligences artificielles de l’histoire humaine sonne non pas comme une histoire réelle mais comme une sorte de récit mythologique et évidemment allégorique pour rendre compte de l’impensable de leur situation. A la manière de la tragédie grecque qui ne reposait pas sur une histoire vécue du peuple grec mais sur une mythologie censée illustrer et instruire plus que rapporter.

A noter que Romain Lucazeau revendique clairement cet héritage du théâtre en faisant une humoristique mise en abîme et convoque le théâtre sur la scène de sa tragédie (à la façon de Corneille, Pirandelo, ou Copi), poussant le jeu de mots jusqu’à invoquer un Deus Ex-Machina (p 390).

Un roman philosophique.

A partir de là, le phénotype de l’auteur, agrégé de philosophie formé sur les bancs de la rue d’Ulm, s’exprime et Latium devient un roman philosophique qui joue des concepts (par exemple les monades de Plotin et Leibniz – lire et relire à ce propos la discussion entre Oiké, l’un des aspects de Plautine et Anaximandre, l’étrange modulateur monadique pages 86 à 92). Il va jusqu’à opérer un original et joyeux renversement métaphysique : les hommes sont dépourvus d’âme alors que les intelligences artificielles en ont une, par nécessité ontologique :

L’homme n’était ni libre ni immortel : il n’avait pas, à proprement parler, d’âme, bien qu’indubitablement doté de conscience. Mais pour un noème, une créature de transcendance et d’intellection, qui ne portait pas en elle le spectre de sa propre mort, point d’autre voie que de se fixer un objectif et de l’accomplir. (p 169).

Je ne passerai pas en revue tous les concepts abordés directement ou plus discrètement évoqués dans ce roman car j’en suis bien incapable. Tout au plus ai-je pu en reconnaître quelques-uns au passage. Et c’est là la grande force de ce roman. Latium est un roman complexe construit sur une multitude de couches. Il peut se lire comme un excellent roman de SF, ou comme un roman philosophique et autorise le lecteur à creuser plus profondément s’il le souhaite, distillant avec érudition (à la Umberto Eco) les pistes de réflexion. C’est un roman admirable, qui fera sans doute date dans la SF française.

Publié en deux tomes, on reste un peu sur sa faim à la dernière page de ce premier tome, avec l’impatience chevillée au corps en attendant la sortie à venir du deuxième tome, Latium 2.


D’autres avis de lecteurs :  Apophis,  Lecture 42,  Space FictionsBlog-O-Livrelectrice hérétique, Feygirl,


Livre : Latium 1
Auteur : Romain Lucazeau
Série : Latium
Publication : 2016
Langue : Français
Nombre de pages : 464
Format : papier et ebook
Prix : Grand prix de l’imaginaire (2017)

Sur Amazon.fr : Latium (Tome 1)


17 réflexions sur “Latium (1/2) – Romain Lucazeau

  1. J’ai lu les deux tomes, et je dois avouer avoir été déçu par la fin du second. Précipitée, incomplète peut-être, j’ai eu l’impression que l’auteur n’avait pas achevé sa réflexion sur l’identité et la prédestination des machines. Pour un peu, je voudrais une troisième tome sous forme de novella pour mettre un point final Final à un certain nombre de développements.
    Après, ça fait un petit moment que je les ai fini, et je ne suis pas sûr d’avoir le courage de les relire pour creuser ces questions, précisément.

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  2. La critique de ce livre, le côté space opéra (je vais m’évader l’esprit) et le côté philosophique m’ont convaincu d’acheter ce roman. Je suis actuellement en cours de lecture mais je me devais d’intervenir maintenant. Je rejoins cette critique sur l’ampleur du roman et sa complexité. On sent que ça tient debout. Les références à la tragédie grec rendent ce space opéra original, toutefois seule une minorité de personnes cultivées dans ces domaines peuvent apprécier vraiment ces références. De plus ca fait un peu : je sors ma science ! Ce côté intello je me la pête ne me dérange pas tant que l’histoire tient la route. Et oui je suis d’accord avec la critique ci-dessus. Il y a de l’ampleur et c’est solide.
    Malheureusement je me suis fait avoir encore une fois au sujet de nombreux space-opéras. Et là il faudra que je sois vigilants sur les prochaines critiques qui mettent difficilement en lumière les types de défauts de ce livre :
    Les 100 premières pages ont été un calvaire pour moi : On passe d’un chapitre sur un vaisseau spatiale avec des personnages « noèmes » à un autre sur une trirème antique sans transition avec en prime des hommes chiens. Il y a de quoi être perdu. Une petite présentation de son univers en tout début de livre aurait été la bienvenue mais ça aurait demandé à l’auteur un effort de concision (le seul sans doute dans ce livre). Alors oui c’est du space-op .. Ok !
    Mais au delà de ça, ce qui m’a le plus choqué c’est les dialogues … ou plutôt l’absence de dialogues. Je me vois plusieurs fois tourner des pages et des pages sans trouver une seule lignes de dialogue. Mais qu’est ce qu’il a écrit alors ? je me suis demandé. Alors oui la philosophie c’est beaucoup d’introspection mais là l’auteur use de la narration jusqu’à user ma patience, L’auteur a fait ici dans le simplisme pur. Surtout que lorsqu’il y a des dialogues, ils ne me paraissent pas être à la même hauteur que le reste du roman. La proportion des dialogues dans un roman et leur propension à attiser la réflexion est pour moi un gage de qualité. Avec un auteur comme celui là je m’attendais à 100 fois mieux pour cette première moitié de livre. Bref c’est hyper faiblard sur un sujet de base.
    Enfin la deuxième chose qui m’a découragé c’est les descriptions à n’en plus finir. C’est long ! Du coup ça ralentit le récit. Le style d’écriture est très lent et pas rythmé du tout. On sent que l’auteur cherche à exposer son univers le plus rapidement possible et dans le détail dans ce premier tome. Du coup cela en devient imbuvable. La réflexion philosophie, qui pourtant m’intéresse beaucoup dans les romans de science fiction, se perd dans les méandres de la narration descriptive. Le côté concis et efficace je ne le perçois pas du tout.

    Lire ce roman me fait penser à être une personne emportée sur une pirogue loin des berges d’un immense fleuve aux eaux très calmes, aux méandres interminables au milieu de la forêt amazonienne. On aperçoit l’immense richesse de la forêt (l’univers que l’auteur a imaginé ainsi que sa philosophie) mais on n’est pas au bon endroit pour observer cette forêt (pas la bonne manière de raconter l’histoire). Déçu !

    Je ne sais pas si je vais tenir jusqu’à la fin du livre bien que l’intrigue de l’histoire m’incite à poursuivre

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    1. Non. La SF n’a aucune obligation dans un sens ou dans un autre. Elle est ce qu’elle a envie d’être et n’a pas à s’accorder au plus petit denominateur commun. Il y a suffisamment de propositions pour que les lecteurs trouvent ce qui leur correspond.

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