La sonate hydrogène – Iain M. Banks *****

La Sonate Hydrogène est le neuvième et dernier chapitre du Cycle de la Culture d’Iain M. Banks qui a eu le mauvais goût de se sublimer juste après sa sortie. Se sublimer ? Oui, c’est le thème central de ce livre. Iain M. Banks nous l’explique ainsi : « Le Sublime. le nirvana presque tangible, entièrement crédible, mathématiquement vérifiable, situé juste à quelques virages à angle droit par rapport à la chère vieille réalité ennuyeuse : une vaste ultra-existence, infinie, meilleure que le virtuel, sans interrupteur, dans lequel des espèces et des civilisations traînaient leurs vieux corps fatigués depuis l’époque – à ce qu’on disait – où la galaxie était encore pour ainsi dire en culotte courte. Le Sublime était l’endroit où on allait quand on avait le sentiment de ne plus pouvoir contribuer à la vie de la grande méta-civilisation galactique, et aussi – motivation parfois plus importante selon les espèces – quand on avait l’impression qu’elle ne pouvait plus rien vous apporter. »

Banks a-t-il eu l’impression qu’il n’avait plus rien à contribuer à sa grande oeuvre, la Culture ? Sans doute pas, disons simplement pour l’excuser de son départ que parfois les « bios » se font emporter par une imperfection de leur conception qu’on appelle la maladie. Le fait est qu’en neuf livres, Banks aura manifestement pris un immense plaisir à imaginer la Culture, à la développer et à penser ses différents aspects. De façon étourdissante, il semble, lorsqu’on entre dans ce cycle, qu’il avait déjà entièrement conçu cet univers dans sa totalité dès le départ. Et qu’il a ensuite pris soin d’explorer minutieusement les recoins du monde.

Si les livres qui composent le cycle sont tous largement indépendants les uns des autres, il en est certains (comme Excession) par lesquels il ne faut pas commencer. La Sonate Hydrogène ne fait pas partie de ceux-là. Il sera sans doute surprenant pour le Culturien novice, mais ne l’empêchera pas de devenir citoyen. D’autant que ce livre montre à quel point l’auteur a mûri son cycle sur une période de 25 ans.

Si vous débarquez d’une planète primitive qui n’aurait pas encore croisé le chemin d’un vaisseau de Contact, ou de son avatar, ni même un de ses drones et que vous ignorez tout de la Culture, je vous fais un petit rappel. La Culture est une civilisation utopique imaginée par Iain M. Banks et qui constitue la toile de fond du cycle de la Culture. Diaspora d’humains, d’intelligences artificielles et de quelques autres espèces disséminées très largement dans la galaxie et au-delà, La Culture assure le bien-être et la longévité de tous ses citoyens. La Culture est entièrement gérée par des Mentaux, c’est-à-dire des intelligences artificielles assez bienveillantes, dans l’ensemble, mais assez caractérielles voire parfois excentriques. Au sein de la Culture, tout va bien et c’est très certainement sous son égide qu’il fait bon vivre, que l’on possède deux jambes ou quatre ou aucune, un corps organique ou minéral. Et comme c’est plutôt tranquille comme société, Iain M. Banks s’intéresse surtout à ce qui se passe en dehors de la Culture, à ses frontières, souvent la où Contact, le service diplomatique et militaire de la Culture, intervient. Et disons que sous leurs airs de ne pas y toucher, certains membres de la Culture ont une tendance prononcée à l’interventionnisme.

La Sonate Hydrogène se déroule lors des 25 derniers jours de la civilisation Gzilte avant le grand saut dans le Sublime. C’est le moment où les autres civilisations viennent présenter leur respect, négocier des contrats de brocanteurs (de charognards, dit Banks), et révéler les deux ou trois petites choses qu’ils ont pu leur cacher du temps ou cela comptait encore d’avoir des secrets entre civilisations voisines. C’est autour de cette dernière intention qu’un petit indicent va se produire. Forcément, s’il y a un micro-incident quelque part dans cet univers, vous pouvez être sûr qu’un vaisseau de la Culture va pointer son propulseur dans le jardin du voisin pour y retourner quelques pierres. A partir de là s’en suit une enquête digne d’un roman d’espionnage et comme on est dans le Cycle de la Culture, cela va se transformer rapidement en feu d’artifice. On retrouve donc dans la Sonate Hydrogène les rapports plus ou moins cordiaux entre civilisations, les complots et les traîtrises, et les échanges d’amabilité à coup d’ogives nucléaires et d’antimatière malencontreusement balancée dans la tronche du gars d’en face. Le cycle de la Culture, c’est du space opéra sous stéroïdes.

La Sonate ressemble par certains aspects à Excession. Les personnages principaux ne sont pas les humains, ou assimilés, mais les vaisseaux et leurs intelligences artificielles. L’histoire est donc en partie racontée à travers les échanges entre vaisseaux de la Culture. Mais pas seulement. Il y a aussi des personnages, assez nombreux au regard des standards du cycle, qui interviennent directement. La grande différence avec les romans précédents est que tout est y de plus grande ampleur. Les vaisseaux sont plus vieux, ou plus grands, les espèces extraterrestres plus exotiques, les combats plus nombreux et plus violents, etc. La Sonate, c’est un peu le Cycle de la Culture sous stéroïdes. Et si l’humour est toujours présent chez Iain M. Banks, dans La Sonate il l’est plus encore. C’est un roman bourré d’idées diverses et originales. Mais aussi de pas mal de réflexions philosophiques. La Sonate est une mine d’or pour les amateurs de citations burlesques.

En conclusion, c’est pour moi le meilleur du cycle. Et accessoirement un chef-d’oeuvre de la SF.

PS : il faut ajouter que le nom entier du N’allez Pas Confondre… (que je ne vous révèle pas) s’affirme comme étant le meilleur nom de vaisseau de tout le cycle.


Voir aussi l’avis d’Apophis.


Livre : La sonate hydrogène
Auteur : Iain Banks
Série : La Culture
Publication en VO : 2012
Traduction: 2013 par Patrick Dussolier, Robert Laffont, coll. Ailleurs et Demain
Nombre de pages : 744
Format : papier et numérique


5 réflexions sur “La sonate hydrogène – Iain M. Banks *****

  1. Mes souvenirs sont loin d’être frais, mais la sonate hydrogène ne m’a pas donné l’impression d’être le meilleur du cycle. D’un côté, ses romans sont si différents qu’il n’est pas aisé d’établir un top, et dans l’absolu je ne suis pas bon à ce genre de classement. La sublimation était un sujet apparu dans Excession je crois; on la mentionnait toujours à distance, et j’avais des attentes particulières durant ma lecture. La sublimation de civilisations entières était un concept que je ne trouvais pas crédible, à moins d’imaginer des civilisations à la psyché ou au fonctionnement permettant ce genre d’action globale et irréversible. Dans le cas des Gzilts, Banks ne m’a pas convaincu, malgré de petits encarts pour gloser sur le sujet et évoquer le fait qu’une civilisation se prépare plusieurs générations à l’avance (je ne suis pas sûr) à cet événement qui devient alors quasi inévitable…une idée en réalité passionnante dans les développements qu’elle peut évoquer et qu’il aurait vraiment fallu développer à mon avis. Dire qu’une petite minorité refusera la sublimation rend l’idée à peine plus crédible, et fait de l’héroïne une paria un peu « facilement (cf. les scènes de cocktail avec sa mère imbuvable pour représenter les pro sublimation).
    A la place, l’intrigue policière policière, certes efficace et pleine de sense of wonder, aboutira à une révélation plutôt attendue et qui, faute de s’être attardée suffisamment sur les Gziltes, ne laisse qu’une impression moins que mitigée.
    Je comprends que Banks se soit intéressé aux roublardises liées à la sublimation, avec les charognards, manipulations et secrets dissimulés, pour pondre une intrigue efficace et prétexte au voyage. On peut d’autre part louer Banks d’avoir rendu sa narration plus balancée ou aérée que dans d’autres romans plus ardus, ou bien c’est le fait d’avoir apprivoisé son style qui me fait penser ça.
    Il développe enfin d’autres éléments de la Culture ou de son univers, pour le plaisir du fan et le sien aussi je l’espère, même si on sent que l’essentiel a déjà été dit. La Culture est tellement mulitiforme et « ramifiée » avec ses mentaux qu’il est difficile de nous faire explorer de nouvelles perspectives (on peut penser au côté virtuel du roman précédent).
    Quelque part, Banks emploie…employait (snif) des ficèles assez reconnaissables (de l’espionnage notamment) pour impliquer ses personnages et ses lecteurs, mais nous assène au final combien les tenants et aboutissants dépendent d’autres entités (eux-même ne contrôlant pas tout), et que les héros que nous croyions suivre étaient des pions, consentants ou non. Il y a toute une esthétique derrière qui a son charme (la métaphore du théâtre vient fréquemment à l’esprit et dans les textes eux-mêmes) mais qui a pu brider certains éléments ou en limiter l’élaboration, lorsqu’elle ne servait pas l’esthétique à l’œuvre. C’est assez présomptueux de se déclarer intellectuellement déçu par Banks, mais ça prouve aussi qu’il plaçait la barre à un certain niveau et impliquait le lecteur.
    [je suis du genre à combler les éléments qui me manquant avec mes propres idées durant mes lectures, c’est irrépressible. Parfois, j’ai le bonheur de voir l’auteur revenir sur ce qui me manquait pour apporter les précisions et nuances espérées]

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    1. Je suis d’accord avec toi que la préparation à la sublimation aurait pu être un thème superbe à explorer, avec la question de savoir ce qui peut bien pousser une civilisation entière à choisir cette voie. Mais bon, ce n’est effectivement pas le thème de la Sonate Hydrogène. Je n’ai pas souvenir que la sublimation avait été évoquée précédemment, mais je n’y avais peut-être pas porté attention à cette époque. Après, faire de la Sonate le meilleur ou pas, comme tu le dis très bien, la Culture est multiforme et il n’y a pas deux romans du cycle qui se ressemblent. Donc cela relève d’un ressenti très subjectif face à la Culture. Et le fait que ce soit le dernier n’y est sans doute pas étranger. En tout cas merci de ton commentaire très intéressant à lire.

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