Abrégé de cavorologie (le Cycle de la Cavorite [1]) – Laurent Genefort

Le 5 janvier 2022, les éditions Albin Michel Imaginaire publieront le roman Les Temps ultramodernes de l’un des écrivains français de science-fiction les plus célébrés, Laurent Genefort. C’est pour l’auteur l’aboutissement d’un projet au long cours. En 2012 déjà, il chroniquait pour Bifrost le roman Les Temps ultra-modernes d’un certain Kelrigo Corégone, allant jusqu’à en détailler le synopsis. Ce roman n’existe pas, pas plus que l’auteur qui n’est qu’un pseudonyme que Laurent Genefort a réutilisé dans la novella Jennifer a disparu, publié dans l’ouvrage Crimes, aliens et châtiment (Hélios, 2017), écrit avec Pierre Bordage et Laurent Whale. Dans cette chronique imaginaire, Laurent Genefort écrivait : « Pour ce roman de six cents pages, dont l’action se déroule en 1925, Kelrigo Corégone a puisé à deux sources : Les Premiers hommes dans la Lune de H.G. Wells paru en 1901, et le diptyque martien de Gustave Le Rouge, publié moins de dix ans plus tard », ainsi que « Le point de départ, tiré de l’imagination du fondateur de la science-fiction moderne, est simple : d’importants gisements de cavorite, un minerai dont la propriété est d’annuler la gravité, ont été découverts en Amérique du Sud. » Dix ans plus tard, Laurent Genefort publie enfin ce roman dont l’idée centrale est d’imaginer une uchronie dans laquelle la découverte de la cavorite à la fin du XIXe siècle change profondément le monde et son économie.

Fruit d’une longue réflexion, l’auteur ne s’en est pas tenu à ce roman. On imagine aisément que le travail fourni a donné lieu à de nombreuses notes qui n’avaient pas forcément leur place dans un roman. Afin d’assoir son uchronie sur des bases les plus solides possibles, Laurent Genefort a imaginé un Abrégé de cavorologie, censément écrit par un certain Hippolyte Corégone, dans lequel il livre de nombreux concepts centraux à son univers. Ce texte d’une centaine de pages s’impose comme un companion book au roman, à la manière de ce qui se fait parfois dans le domaine des jeux de rôle ou pour certains cycles de SF ou de fantasy. Pour le plus grand bonheur des lecteurs, il est distribué gratuitement par Albin Michel Imaginaire en format électronique. (Certains chanceux dans mon genre l’ont reçu en format papier). D’autre part, le numéro 105 de la revue Bifrost proposera fin janvier une nouvelle qui s’inscrit dans la même uchronie. La sortie simultanée de ces trois textes invite à désormais évoquer non plus seulement un roman, mais bien la création d’un cycle que je prends la liberté (que Laurent me fouette) de nommer Le Cycle de la Cavorite.

À vrai dire, je n‘avais initialement pas l’intention de chroniquer séparément l’Abrégé de cavorologie du roman Les Temps ultra-modernes, car il me semblait que cela ne faisait pas sens, et que ce court texte compagnon n’était qu’un élément de worldbuilding. Mais sa lecture, des plus enthousiasmantes, justifie amplement de revenir sur ce choix fait a priori, et c’est donc avec lui que j’ouvre une série de chroniques dédiées au cycle.

L’Abrégé de cavorologie vous dit tout ce qu’il y a savoir sur la cavorite, en six parties qui évoquent sa découverte, ses propriétés physicochimiques, sa production, ses applications, son influence sur la culture, et ses implications politiques. Dans le plus pur respect des règles implicites de l’uchronie, Laurent Genefort fait intervenir de nombreux personnages historiques, dont il confronte les vies (réelles) à sa découverte, imaginant leur rôle à partir de ce point de divergence. Ainsi les plus grands scientifiques du début du vingtième siècle s‘emparent du sujet, et l’on croise Becquerel, Pierre et Marie Curie, Rutherford, ainsi qu’Einstein. Si le rôle de ce dernier n’est pas prépondérant en ce qui concerne la cavorite elle-même, celle-ci a une importance considérable sur ses travaux. Lorsque la précession résiduelle du périhélie de Mercure est observée, celle-ci est interprétée comme l’effet d’une grande quantité de cavorite dans le manteau de la planète. En conséquence, Einstein n’écrira jamais la théorie de la relativité généralisée en 1915. L’uchronie de Genefort est un monde dans lequel la loi universelle de la gravitation de Newton n’est jamais remise en cause. Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres de la qualité du travail fourni par Laurent Genefort pour élaborer son récit et construire l’univers dans lequel il s’inscrit. Je ne sais pas vous, mais moi je trouve l’idée brillante.

Il y a quelques années, à un Salon du Livre à Paris, j’avais discuté avec Laurent Genefort de ce projet. À l’époque, il se demandait où, dans le tableau périodique des éléments, il allait bien pouvoir caser sa cavorite. Il a choisi de remplacer l’hafnium, élément bien réel de numéro atomique 72 et de masse 179, par la cavorite. Cela lui permet d’en faire une terre rare dont les propriétés, notamment en ce qui concerne les réseaux cristallins dans lesquels elle peut s’insérer, lui permettent de rendre crédible son exploitation pratique. Du point de vue purement scientifique, il a bien fallu que l’auteur torde un peu la réalité. Ses descriptions tirent avantage de quelques imprécisions de langage propres à l’époque et au type de publications dans lequel cet Abrégé s’inscrit. On pourra difficilement lui reprocher puisque sa démarche est ici inverse à celle de la hard-SF, et n’essaye pas de respecter scrupuleusement l’état des connaissances scientifiques mais au contraire d’en inventer de nouvelles. Et cela est fait avec une grande rigueur et beaucoup de talent !

L’Abrégé de cavorologie est aussi l’occasion de rendre hommage aux créateurs du genre et Laurent Genefort multiplie les clins d’œil. Pour ne pas ôter aux lecteurs le plaisir de les découvrir, je n’en citerai qu’un, celui fait à Jules Verne dans l’invention de la compagnie américaine de transports la Gun Club Company. C’est dans la cinquième partie, celle dédiée à la culture, que Laurent Genefort se fait assurément le plus drôle. Il imagine les courants pro- et anti-cavorite qui agitent les arts conceptuels, multipliant à loisir les saillies humoristiques (l’Art Immobile !). De même avec la littérature où il s’amuse, et nous avec, à imaginer les tropes qui naissent et traversent inévitablement la littérature dite populaire. La publicité n’échappe pas à sa verve et il invente des slogans plus caricaturaux les uns que les autres. C’est un bonheur d’humour et de pertinence. Le tout est traversé par quelques flèches aux pointes acérées lancées en direction du capitalisme et du colonialisme.

Seule la dernière partie, qui concerne la politique mondiale autour de la cavorite, laisse quelque peu sur sa faim. Mais il y a tant à dire sur ce sujet que j’imagine que des développements ultérieurs seront faits dans le roman à ce propos.

Je ne peux que fortement vous recommander de lire cet Abrégé de cavorologie si Les Temps ultra-modernes de Laurent Genefort vous tente, et de le faire avant de lire le roman, puisqu’il pose des bases nécessaires à l’univers de cette uchronie qui, si j’en en juge par la qualité imaginative de ce court texte d’une centaine de pages, s’avère des plus prometteuses. Affaire à suivre…


D’autres avis : Apophis, Le nocher des livres,


  • Titre : Abrégé de cavorologie par Hyppolyte Corégone
  • Cycle : le cycle de la cavorite
  • Auteur : Laurent Genefort
  • Publication : 10 décembre 2021, Albin Michel Imaginaire
  • Nombre de pages : 112
  • Format : numérique gratuit

8 réflexions sur “Abrégé de cavorologie (le Cycle de la Cavorite [1]) – Laurent Genefort

  1. La genèse de cet univers et l’idée géniale de ce livre compagnon qui participe au world building me fascine. Je prends bonne note du conseil final, je lirai cet abrégé avant de découvrir Les temps ultramodernes qui me font très envie.

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  2. Encore un énième format à la noix pour le diffuser. Et comment on fait pour avoir ce bouquin en papier ? Ou au moins en pdf pour l’imprimer ? La galère ! J’ai que ça a faire de chercher des convertisseurs …

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  3. J’ai téléchargé adobe digital éditions. Pas la possibilité d’imprimer le livre en Pdf c’est grisé. Tu pourrais pas le rendre disponible en Pdf sur ton blog ? Ou m’indiquer un site que tu connais. Merci. Les éditeurs, au bout d’un moment, ils ne savent plus réfléchir simple … !

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